Par Baptiste Gaborieau, journaliste scientifique
Depuis la première exoplanète détectée en 1995, les chercheurs n’ont cessé d’en découvrir au sein du vaste univers. Mais à quoi ressemblent ces mondes perdus ? Pour le second webinaire organisé le 17 décembre 2020 par la Société Française d’Exobiologie (SFE), Martin Turbet, chercheur postdoctoral à l’Observatoire Astronomique de l’Université de Genève, nous proposait de partir dans un fabuleux voyage dans les atmosphères de ces planètes situées hors du système solaire. Cet article, relu par Martin Turbet, résume les points principaux de sa présentation que vous pouvez redécouvrir dans son intégralité sur la chaine YouTube de la SFE.
Les exoplanètes fascinent. Terreau fertile pour l’imagination et la science-fiction, elles sont l’objet de gigantesques projets de recherche bien réels, visant à caractériser leurs propriétés. Avant de se projeter dans l’atmosphère de ces astres mystérieux, il faut déjà être capable de les trouver.
De l’importance d’avoir un bon transit
Une des techniques les plus populaires pour détecter les exoplanètes est la méthode dite des transits. Elle a notamment été appliquée avec le télescope Kepler qui captait la lumière provenant d’une multitude d’étoiles. Le principe de cette méthode est de rechercher des baisses de luminosité, correspondant à l’éclipse générée par la planète lorsqu’elle passe devant l’étoile. La planète tournant continuellement autour de l’étoile, ces baisses sont périodiques et sont observées à chaque nouvelle éclipse.
Si les 20-25 dernières années ont majoritairement été concentrées sur la détection des exoplanètes, la recherche semble dorénavant plus s’orienter vers la caractérisation de ces planètes. On cherche désormais à savoir de quoi sont faites ces exoplanètes ou encore de mieux analyser leurs potentielles atmosphères. Au cours des 5 dernières années, d’énormes progrès ont été faits à ce sujet, en utilisant de meilleurs télescopes comme le Very Large Telescope (VLT) au Chili ou encore des télescopes spatiaux comme Spitzer et Hubble.
Plus gros, plus chaud
L’essentiel de ces observations de caractérisation se sont pour l’instant focalisées sur les plus grosses et les plus chaudes des exoplanètes connues car ce sont elles qui sont le plus facile à analyser avec les techniques d’observation actuelles.
En particulier, la méthode des transits est d’autant plus performante que la planète est grosse par rapport à son étoile. Une planète trop petite aura en effet tendance à provoquer une trop faible baisse de luminosité, plus difficilement détectable. De plus, cette méthode est plus efficace sur les planètes chaudes qui orbitent près de leur étoile. Ces planètes passent plus souvent devant leur étoile, multipliant le nombre de transits observables. Cela permet ainsi d’accumuler plus de données utiles à la caractérisation de l’exoplanète.
Aujourd’hui, autour d’une étoile de la taille du Soleil, nous avons détecté par transit des planètes de la taille de Jupiter mais pas encore des exoplanètes semblables à la Terre. La stratégie proposée depuis maintenant quelques années pour trouver de nouvelles terres est donc de les chercher autour d’étoiles plus petites. La baisse de luminosité induite par le passage d’une planète est d’autant plus importante que l’étoile est petite.
Pour cette nouvelle stratégie, on cherche donc des exoplanètes orbitant autour d’étoiles de toute petite taille. En raison de leur petite masse et de leur faible température, ces étoiles prennent une couleur rougeâtre caractéristique, on les appelle les « naines rouges ». L’essentiel des recherches de petites planètes tempérées ont donc été faites à ce jour sur des naines rouges. La première de ce type a été découverte en 2011 et en 2020, on en compte plus de 40.
Une autre propriété des naines rouges, c’est que ce sont les étoiles les plus fréquentes dans notre galaxie. Il est donc facile d’en trouver dans le voisinage de la Terre. En 2016, une exoplanète similaire à la Terre a ainsi été détectée autours de Proxima du Centaure, l’étoile la plus proche du Soleil. Un an après, la découverte des planètes de Trappist-1 est annoncée. Ce système exceptionnel est proche de nous et la méthode des transits est applicable pour les 7 planètes qui gravitent autour de l’étoile. De plus, ces exoplanètes ont des tailles et des masses similaires à celles de la Terre et elles ont des insolations proches des planètes rocheuses de notre système solaire.
Modéliser une atmosphère : tout un programme !
On dispose aujourd’hui d’une base fournie d’exoplanètes qui pourront être finement analysées par la prochaine génération de télescopes. Avant d’avoir une caractérisation précise de ces planètes, certains se plongent dans la science-fiction pour voyager sur ces mondes éloignés. D’autres se lancent dans une démarche plus scientifique, fondée sur le principe que tous les processus en jeu dans l’atmosphère des planètes connues (comme la Terre) pourraient être applicables dans le cas des exoplanètes. Des modèles pourraient ainsi permettre d’anticiper la composition et la dynamique de ces atmosphères lointaines. C’est sur cette base que Martin Turbet et ses collègues ont pu développer le modèle de climat Global 3-D d’exoplanètes du LMD qui tente de reproduire les processus à l’œuvre dans l’atmosphère des planètes lointaines.
Plusieurs paramètres sont impliqués dans ce modèle.
- Les équations hydrodynamiques simulent comment les masses d’air sont transportées dans l’atmosphère, en particulier par les vents.
- Les équations de transfert du rayonnement simulent la manière dont l’atmosphère mais également les gaz et les particules en suspension interagissent avec la lumière (absorption, diffusion).
- Les équations de la convection et de la turbulence sont également prises en compte.
- Les échanges thermiques avec la surface sont grossièrement inférés à partir des équations de la chaleur.
- Les équations de changement de phase des différents gaz vers une forme liquide ou solide (thermodynamique) sont modélisées. Elles sont associées aux prédictions de formation des nuages.
- Enfin, des recherches sont menées pour mieux appréhender des réactions chimiques qui pourraient modifier sur le long terme la composition d’une atmosphère.
Sur Terre, on peut déjà utiliser des modèles similaires pour comprendre comment les différents aérosols comme de la poussière ou des particules de sel en suspension voyagent et se propagent au sein de l’atmosphère.
Une gamme de climats possibles sur ces exoplanètes a ainsi pu être établie par les chercheurs de l’Université de Genève, de Sorbonne Université et de l’Université de Bordeaux. Il faut néanmoins noter le fait que la plupart des exoplanètes connues gravitant autour de naines rouges sont dans un état de rotation synchrone. Autrement dit, les exoplanètes étudiées ont une phase chaude orientée en permanence vers l’étoile et une phase froide qui, au contraire, fait dos à l’étoile et reçoit donc moins d’énergie car elle est en nuit permanente. Ce système en deux phases a des conséquences majeures sur les climats possibles des exoplanètes.
Tour d’horizon des planètes possibles
Sur la base de ce modèle, un diagramme des différents climats envisageables peut être tracé. Il se base sur deux paramètres essentiels : la quantité d’eau et la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère de ces planètes.
A. Les planètes « cornues »
Dans le cas d’une planète pauvre en eau et avec peu de gaz à effet de serre (atmosphère similaire à Mars), les chercheurs prédisent une formation de glaciers sur la face sombre de la planète. La nuit éternelle jouerait un rôle de piège froid, favorable à l’apparition de glace. En prenant en compte le mécanisme d’écoulement des glaciers, il est même possible de prédire où sera distribuée la glace sur ces planètes. Elles peuvent être surnommées « planètes cornues » en raison des deux grands glaciers qui les caractériseraient.
B. Les planètes « mochis »
Lorsque la planète n’a pas beaucoup d’eau mais renferme une quantité importante de gaz à effet de serre, toute l’eau serait vaporisée d’après les simulations. La température pourrait alors atteindre des valeurs extrêmes, à la manière de ce qui est observée dans l’atmosphère de Vénus. On s’attendrait alors à une couche de nuages localisée préférentiellement au niveau de la face nuit. Martin Turbet les surnomme planètes « mochis » en référence aux pâtisseries japonaises, la pâte de riz représentant ici l’épaisse couche nuageuse.
C. Des glaciers et des rivières
Dans certains cas intermédiaires (avec une atmosphère plus épaisse, ou bien un contenu en eau plus élevé), il est aussi possible que les glaciers s’étendent vers les régions ensoleillées et donc les plus chaudes de la planète. Des rivières et lacs peuvent alors se former en bordure des glaciers.
D. Les planètes océans
Lorsque l’exoplanète possède une atmosphère avec un fort effet de serre, des lacs peuvent se former sur la face nuit. À mesure que l’on augmente la quantité d’eau présente sur la planète, des lacs vont progressivement se former sur la face jour. Pour un contenu en eau élevé, il est même possible que la planète soit recouverte d’un océan global.
E. Les planètes « globes oculaires »
Pour un fort contenu en eau mais une planète moins riche en gaz à effet de serre, l’océan se recouvre de glace au niveau de la face nuit de la planète. Ces planètes sont souvent surnommées « globe oculaires » en raison de leur ressemblance avec un œil.
E. Les planètes « homards »
Dans ces modèles, lorsque l’on prend en compte la circulation océanique, la distribution de la température de surface et la distribution de la glace changent drastiquement. On peut y voir un glacier dont la forme rappelle celle d’un homard.
Il existe probablement de nombreux types d’exoplanètes encore ignorées qui émergeront lorsque les processus de modélisation seront complexifiés et améliorés.
Dans la réalité, et notamment dans le système Trappist-1, est-ce que toutes ces exoplanètes potentielles existent ? Pour le savoir, il est nécessaire d’avoir des mesures des concentrations en gaz à effet de serre de ces planètes et leurs contenus en eau.
Une question de densité
Une des méthodes pour évaluer le contenu en eau des exoplanètes nécessite de connaître leur densité, c’est-à-dire le rapport entre leur masse et leur volume. Aujourd’hui, on connaît la masse et le rayon de nombreuses exoplanètes, on peut donc les trier en fonction de ces valeurs (voir graphique). En parallèle, il est possible d’estimer la relation entre masse et rayon pour une planète théorique dont la composition serait contrôlée (par exemple une planète composée uniquement d’eau, uniquement de fer ou encore uniquement d’hydrogène). Lorsque l’on trace ces courbes, on peut voir que les planètes telluriques du système solaire se rapprochent plutôt des planètes théoriques riches en fer et en roche tandis que les planètes gazeuses du système solaire sont proches de planètes théoriques composées d’hydrogène. Grâce à ces courbes théoriques, il est ainsi possible d’envisager les compositions potentielles des exoplanètes dont on connait à la fois la masse et le rayon.
Les sept planètes rocheuses tempérées du système Trappist-1 ont une masse et un rayon qui a été précisément déterminé. On peut donc tester différentes compositions théoriques et voir si les planètes de Trappist-1 s’y conforment. Le meilleur accord est obtenu pour une composition de 80 % de roches et 20 % de fer. Attention néanmoins, cette méthode donne une combinaison potentielle pour ces exoplanètes mais il existe en réalité plusieurs compositions différentes aboutissant au même rapport masse/rayon.
La méthode est ensuite complexifiée en ajoutant une couche d’eau sous forme vapeur ou condensée aux modèles de planètes théoriques. Cet ajout modifie légèrement le rapport masse/rayon et on peut alors regarder quelle composition théorique décrit au mieux les mesures obtenues pour les planètes du système Trappist-1.
Les apports de la spectroscopie
Quand une planète passe devant une étoile observée, elle entraîne globalement une baisse de la luminosité perçue mais pas seulement. En effet, la lumière qui traverse son atmosphère va être modifiée et les modifications subies sont caractéristiques de la composition de l’atmosphère traversée. Pour analyser finement ces modifications, les scientifiques observent la lumière à plusieurs longueurs d’onde. Par exemple, la lumière rouge (grande longueur d’onde) partant de l’étoile et traversant l’atmosphère ne va pas subir les mêmes modifications que la lumière violette (petite longueur d’onde) traversant la même atmosphère. En décomposant ainsi la lumière, la taille perçue (le rayon) de l’exoplanète analysée varie en fonction de la longueur d’onde considérée.
Cette méthode de spectroscopie est souvent utilisée pour les grosses planètes ayant donc une atmosphère imposante traversée par la lumière de l’étoile. Toutefois, il a été possible de la mettre en place pour les planètes du système Trappist-1, ce qui est inédit pour des planètes rocheuses et tempérées. Les scientifiques sont donc capables de comparer les rayons observés à différentes longueurs d’ondes à des modèles théoriques. Par exemple, est-ce que ces résultats seraient cohérents si l’atmosphère de l’exoplanète n’était composée que d’hydrogène ? Pour les sept planètes du système Trappist-1, on a ainsi pu déterminer que leur atmosphère ne se rapprochait pas du modèle d’une atmosphère riche en hydrogène et en hélium.
Pour avoir une idée plus précise de la composition atmosphérique, il est nécessaire d’avoir des télescopes plus puissants capables d’avoir des mesures plus fines aux différentes longueurs d’ondes considérées. Le meilleur espoir, à l’heure actuelle, pour réaliser ces observations est donc le télescope spatial James Webb, qui sera lancé d’ici quelques mois à quelques années. Cet immense engin sera en orbite autour de la Terre et couvrira précisément de nombreuses longueurs d’ondes. En attendant sa mise en fonctionnement, les chercheurs ont réalisé des simulations du type de signal qui sera reçu par ce télescope. Les résultats sont très prometteurs, car on estime qu’il sera possible par exemple de déterminer la composition en CO2 ou en méthane des planètes du système Trappist-1 après une dizaine de transits devant leur étoile.
Réfléchissez bien
Pour les systèmes planétaires les plus proches de nous, il est également envisageable de séparer la lumière perçue directement de l’étoile et la lumière réfléchie par la planète. Cette technique serait notamment possible avec le projet du télescope européen extrêmement large (E-ELT) et le système de l’étoile Proxima-b, à l’horizon 2030.
Concrètement, la lumière émise par l’étoile est d’abord cachée par un coronographe afin de faire ressortir la lumière réfléchie par la planète. La lumière collectée est alors analysée avec un spectrographe – un instrument capable d’analyser la lumière avec une grande précision spectrale – qui permet d’amplifier la signature de la lumière réfléchie par la planète. Grâce à ces informations, il sera possible d’en savoir plus sur l’atmosphère de ces exoplanètes proches ainsi que la présence éventuelle de surfaces réflectrices comme de la glace, des océans ou des nuages.
Références
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