Démontrer l’origine biologique de traces de vie microbienne datant de plusieurs milliards d’années est particulièrement complexe en raison de la taille et de la morphologie relativement simple des microorganismes et de la dégradation de leurs restes fossiles avec le temps. Dans le cadre d’une collaboration internationale, nous avons réussi à identifier des signatures distinctives indiquant la présence de vie passée. Notre approche implique des analyses morphologiques et chimiques de la matière carbonée trouvée dans des sédiments volcaniques vieux de 3,45 milliards d’années. Cette méthode analytique servira de modèle pour la recherche de traces de vie dans les roches martiennes qui seront ramenées sur Terre d’ici 2035.
Les sédiments volcaniques du chert de Kitty’s Gap, une roche âgée de 3,45 milliards d’années provenant du craton de Pilbara en Australie, se sont déposés dans des eaux peu profondes près du rivage, à proximité de sources hydrothermales associées à un système volcanique (de Vries, 2004; de Vries et al., 2006; Westall et al., 2006, 2011). Ces conditions ont créé un habitat idéal pour certains types de micro-organismes, comme les chimiolithotrophes, qui tirent leur énergie de l’oxydation de substances inorganiques telles que le soufre élémentaire, le sulfure d’hydrogène, l’hydrogène moléculaire et le fer ferreux. Ces sédiments, formés dans des conditions similaires à celles sur Mars, offrent une opportunité de tester différentes techniques d’analyse afin de détecter des signes de vie dans des roches martiennes datant du Noachien (> 3,5 milliards d’années). Cependant, la petite taille des cellules des micro-organismes qui vivaient dans ces sédiments terrestres et la nature diffuse des colonies fossilisées rendent difficile l’identification et la caractérisation de potentielles biosignatures dans ces types de roches. Ceci est d’autant plus complexe car la morphologie seule ne suffit pas à prouver l’origine biologique de telles traces de vie, étant donné que des processus abiotiques (sans intervention de la vie) peuvent générer des structures ressemblant à des formes de vie (García-Ruiz et al., 2003, 2009; Cosmidis and Templeton, 2016; Criouet et al., 2021).
Comment maximiser la détection de microfossiles et leurs biosignatures associées dans les roches terrestres anciennes ? Quelles sont les méthodes analytiques les plus pertinentes pour aider à rechercher des traces de vie dans les roches martiennes ?
Nous avons utilisé plusieurs méthodes d’analyse complémentaires, telles que les microscopies optique et électronique, la spectroscopie Raman, la spectroscopie de fluorescence à rayons X et la spectrométrie de masse, pour déterminer si les micro-organismes fossilisés préservés dans les sédiments sont contemporains de la roche qui les héberge (syngénicité) et s’ils ont une origine biologique (biogénicité).
Des analyses sédimentologiques, pétrologiques, minéralogiques et géochimiques ont permis de reconstruire le paléoenvironnement de dépôt des sédiments volcaniques du chert de Kitty’s Gap. Les résultats indiquent que les sédiments se sont formés dans un bassin volcano-sédimentaire, influencé par les marées, les rivières et les fluides hydrothermaux, offrant ainsi des conditions favorables à la colonisation et au développement de la vie microbienne. Des analyses morphologiques, élémentaires et moléculaires de la matière carbonée associée aux restes dégradés de potentiels microfossiles ont confirmé sa contemporanéité avec la roche hôte (syngénicité) et son origine biologique (biogénicité). En particulier, nous avons utilisé une combinaison de techniques d’analyse élémentaire (fluorescence à rayons X et émission de rayons X induite par des protons) et moléculaire (fluorescence UV et infrarouge), révélant un enrichissement en métaux traces (vanadium, chrome, fer, cobalt…) ainsi qu’en molécules aromatiques et aliphatiques associées à la matière carbonée. Ces résultats renforcent l’hypothèse d’une origine biologique. De plus, des observations en microscopie électronique en transmission ont permis d’identifier des nanostructures amorphes, telles que des films entourant les particules volcaniques, des particules sphériques à elliptiques et des structures étirées, qui ont été interprétées comme des restes dégradés de microorganismes et de leurs sous-produits (par exemple, substances polymères extracellulaires, filaments).
Cette étude met en lumière l’importance d’utiliser une variété d’analyses complémentaires à différentes échelles pour rechercher la vie dans les échantillons extraterrestres rapportés sur Terre. Les résultats de cette recherche, qui ont également impliqué l’Institut de recherche sur les archéomatériaux (CNRS/Université d’Orléans), le Laboratoire de physique des deux infinis (CNRS/Université de Bordeaux), ainsi que le Muséum d’histoire naturelle de Londres et l’Université de Bologne, ont récemment été publiés dans la revue Astrobiology.
Références :
Cosmidis, J., Templeton, A.S., 2016. Self-assembly of biomorphic carbon/sulfur microstructures in sulfidic environments. Nature Communications 7, 12812. https://doi.org/10.1038/ncomms12812
Criouet, I., Viennet, J.-C., Jacquemot, P., Jaber, M., Bernard, S., 2021. Abiotic formation of organic biomorphs under diagenetic conditions. Geochem. Persp. Let. 16, 40–46. https://doi.org/10.7185/geochemlet.2102
de Vries, S.T., 2004. Early Archaean sedimentary basins: depositional environment and hydrothermal systems. Utrecht, The Netherlands.
de Vries, S.T., Nijman, W., Wijbrans, J.R., Nelson, D.R., 2006. Stratigraphic continuity and early deformation of the central part of the Coppin Gap Greenstone Belt, Pilbara, Western Australia. Precambrian Research 147, 1–27. https://doi.org/10.1016/j.precamres.2006.01.004
García-Ruiz, J.M., Hyde, S.T., Carnerup, A.M., Christy, A.G., Van Kranendonk, M.J., Welham, N.J., 2003. Self-assembled silica-carbonate structures and detection of ancient microfossils. Science 302, 1194–1197. https://doi.org/10.1126/science.1090163
García-Ruiz, J.M., Melero-García, E., Hyde, S.T., 2009. Morphogenesis of self-assembled nanocrystalline materials of barium carbonate and silica. Science 323, 362–365. https://doi.org/10.1126/science.1165349
Westall, F., de Vries, S.T., Nijman, W., Rouchon, V., Orberger, B., Pearson, V., Watson, J., Verchovsky, A., Wright, I., Rouzaud, J.-N., Marchesini, D., Severine, A., 2006. The 3.466 Ga “Kitty’s Gap Chert,” an early Archean microbial ecosystem, in: Processes on the Early Earth. Geological Society of America, pp. 105–131. https://doi.org/10.1130/2006.2405(07)
Westall, F., Foucher, F., Cavalazzi, B., de Vries, S.T., Nijman, W., Pearson, V., Watson, J., Verchovsky, A., Wright, I., Rouzaud, J.-N., Marchesini, D., Anne, S., 2011. Volcaniclastic habitats for early life on Earth and Mars: A case study from ∼3.5Ga-old rocks from the Pilbara, Australia. Planetary and Space Science 59, 1093–1106. https://doi.org/10.1016/j.pss.2010.09.006
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