Comment survivre à l’intérieur d’un cristal de sel :
Analyse des biosignatures au sein de l’halite (NaCl)
Les sels représentent un intérêt majeur pour la compréhension des limites de la vie telle que nous la connaissons ainsi que la préservation des biosignatures microbiennes. Cet attrait se base sur les propriétés de conservation des sels ayant ont été exploitées par l’homme pendant des millénaires, notamment pour la conservation des aliments nourriture et les peaux d’animaux.
Sur Terre, les environnements hypersalins sont parmi les habitats les plus extrêmes pour la vie. Néanmoins, certains microorganismes, appelés halophiles (qui aiment le sel), peuvent former des communautés prospères dans les environnements hypersalins, généralement dominées par des espèces d’archées. L’évaporation de ces environnements entraîne la formation par précipitation de cristaux de sels tels que l’halite (NaCl). Lors de la cristallisation, des gouttelettes microscopiques de l’environnement d’origine sont piégées sous forme d’inclusions fluides. Mais qu’en est-il des micro-organismes halophiles présents dans les environnements liquides avant formation des cristaux de sel ? Des cellules de micro-organismes ont été observées intactes dans des inclusions fluides d’halite, et certaines archées halophiles ont même pu être cultivées à partir de halites prétraitées pour désactiver (« tuer ») les micro-organismes liés présents à la surface. Ces découvertes ont soulevé une multitude de questions essentielles à la compréhension des limites de la vie :
Quels processus biologiques permettent la survie des archées halophiles dans les inclusions fluides d’halite ? Quelles conditions physicochimiques limitent leur survie ? Combien de temps ces micro-organismes peuvent-ils survivre dans ces conditions ?
Bien qu’il semble assez simple de répondre à ces questions à l’aide des techniques modernes, l’immense défi technique que représente la réalisation de travaux de chimie analytique et de biochimie dans des conditions de saturation en sel a sérieusement entravé les progrès dans ce domaine. Des méthodes efficaces ont finalement été mises au point pour étudier les génomes, les transcriptomes et les protéomes des archées halophiles à partir de cultures liquides permettant de déterminer les différents mécanismes les aidant à survivre à un large éventail de contraintes environnementales (limitations de l’oxygène et des nutriments, irradiation UV-C et gamma, dessiccation, contraintes liées aux métaux et au sel, etc.). Toutefois, l’application de ces méthodes analytiques aux cristaux d’halite représente un défi supplémentaire et est resté un obstacle majeur. En outre, si les traitements chimiques ont été utilisés pour désactiver les micro-organismes et éliminer les acides nucléiques (ADN/ARN) à la surface des halites naturelles, ils n’ont pas été conçus pour éliminer les protéines.
Récemment, une équipe de chercheurs de l’équipe BIM du laboratoire MCAM du MNHN, ainsi qu’une équipe interdisciplinaire de collaborateurs du MNHN, de l’Université de la Sorbonne et du CEA ont publié dans la revue journal Frontiers in Microbiology de nouvelles méthodes permettant de franchir ces obstacles techniques. Il s’agit notamment de nouvelles méthodes pour éliminer les substances organiques liées à la surface des halites, même de petite taille (~1cm). Cette méthode permet d’isoler les molécules d’intérêt à l’intérieur des inclusions fluides d’halite. À cela s’ajoute un nouveau pipeline analytique d’extraction, de dessalage et d’analyses par spectrométrie de masse des protéines issues des inclusions fluides. Cette nouvelle approche a permis pour la première fois une analyse protéomique globale d’Halobacterium salinarum (organisme modèle chez les archées halophiles, étroitement lié à ceux que l’on trouve dans les halites naturelles) piégé dans des inclusions fluides. En utilisant des halites produites en laboratoire, l’équipe a pu affiner les techniques nécessaires pour étudier comment cette espèce modèle s’acclimate au microenvironnement clos que représentent les inclusions fluides dans les premiers stades après formation des cristaux. Ils ont pu montrer que, bien qu’il existe de nombreuses similitudes entre les cellules avant et après le piégeage dans les inclusions fluides d’halite, certains processus étaient considérablement réduits ou absents (e.g. mobilité et production de protéines par la traduction), tandis que d’autres étaient augmentés (e.g. processus de transport). Ces résultats préliminaires suggèrent une modification de l’activité cellulaire ainsi que des interactions entre les cellules et le microenvironnement fluide.
Cette étude présente également des implications au-delà des mécanismes d’adaptation et d’acclimatation des microorganismes halophiles. Elle ouvre la voie à une meilleure compréhension de la préservation des biosignatures dans les évaporites, tant sur Terre que sur d’autres planètes. Les halites peuvent réduire les effets néfastes du rayonnement solaire sur les molécules organiques d’origine biologique (terrestre) ou abiotique. Les analyses des halites (provenant des saumures des corps planétaires glacés au début de la formation du système solaire) contenues dans les météorites Zag et Monahans ont révélé des molécules d’origine abiotique à base de carbone préservées dans les inclusions fluides (voir l’article de Chan et al. 2018. Sci. Adv. 4, eaao3521). Ces études démontrent le potentiel des halites pour protéger les molécules des rayonnements solaires. En outre, des halites ont été identifiées sur Mars et supposées de petite taille. Ça souligne l’importance de développer des protocoles pour le traitement des échantillons et la détection de biosignatures sur de petits échantillons d’halite, comme celui présenté dans ces travaux, pour la recherche de preuves de vie ancienne.
Référence :
Contact :
- Adrienne Kish, Maître de Conférence du Muséum National d’Histoire Naturelle (MNHN) en microbiologie/biochimie des extrêmophiles – Équipe Biologie des Interactions Microbiennes – Laboratoire Molécules de Communication et Adaptation des Micro-organismes (MCAM, UMR7245) (MNHN – CNRS) adrienne.kish@mnhn.fr
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