Par Bénédicte Ménez, Institut de Physique du Globe de Paris (CNRS-INSU, Université Paris Diderot, PRES Sorbonne Paris Cité)
Une équipe pluridisciplinaire composée de chercheurs français de l’Institut de Physique du Globe de Paris (Université Paris Diderot – PRES Sorbonne Paris Cité – CNRS UMR 7154) et italiens de l’Université de Modena e Reggio Emilia a récemment mis en évidence la présence de niches microbiennes dans le manteau océanique hydraté, environnements qui pourraient bien avoir hébergé les premières formes vivantes sur notre planète. Cette découverte a été publiée en ligne le 10 janvier 2012 par la revue Nature Geoscience.
Les roches du manteau terrestre, appelées péridotites, portées à l’affleurement au fond des océans par le jeu de la tectonique, sont désormais considérées avec une attention croissante dans les problématiques d’émergence de la vie sur Terre. Ces roches, instables en présence d’eau, ont la capacité remarquable de générer d’importantes quantités d’hydrogène au travers de l’hydratation des silicates qui les constituent. Cet hydrogène, en réduisant le CO2 provenant de l’eau de mer ou du manteau, peut conduire à la formation dite « abiotique » de méthane et d’hydrocarbures légers. Ces produits dérivés de l’hydratation des péridotites fourniraient, en outre, l’énergie métabolique nécessaire au développement de communautés microbiennes en profondeur, loin de toute source d’énergie photosynthétique. Des anomalies en H2 et CH4, soutenant des écosystèmes autotrophes, ont été mises en évidence sur le plancher océanique, au niveau de champs hydrothermaux de basses températures, comme le spectaculaire site de Lost City situé sur le massif Atlantis près de la ride médio-atlantique. Mais qu’en est-il exactement en profondeur ? Jusqu’à la récente étude publiée dans Nature Geoscience, il n’existait pas de preuves directes de l’existence d’écosystèmes profonds nourris par les volatiles dérivant du manteau terrestre dans les profondeurs de la lithosphère océanique.
Cette étude a été menée sur des échantillons de péridotites hydratées (ou « serpentinisées »), collectés par dragage le long de la ride médio-atlantique (4-6°N). Celles-ci hébergent des chapelets d’hydrogrenats dont le cœur est fortement affecté par de la dissolution. Des investigations en microscopie électronique et spectroscopie Raman ont permis d’y détecter des accumulations de carbone organique endogène d’origine biologique. Ces hydrogrenats semblent donc servir de substrat (source de fer et de calcium) à des microorganismes chimiolithoautotrophes qui utiliseraient les produits dérivés de la serpentinisation pour se développer. Le taux de maturation thermique de cette matière carbonée permet de contraindre le système en température dans un intervalle compris entre 80 et 100°C, soit une profondeur d’occurrence dans les deux premiers kilomètres de la lithosphère océanique serpentinisée.
Ces nouvelles signatures du vivant reportées dans un contexte rappelant l’environnement de la Terre Hadéenne, ouvre également des perspectives intéressantes autour de l’émergence de la vie sur notre planète. Pour que les premières cellules vivantes puissent apparaître à partir de CO2, de roches et d’eau, une source soutenue d’énergie est nécessaire. La serpentinisation apparait comme un candidat de choix : source naturelle d’énergie chimique, elle aurait pu fournir les premières voies biochimiques qui sous-tendent l’apparition et le développement d’écosystèmes microbiens, exploitant, plutôt que provoquant, des processus géochimiques existants. Dans cette perspective, les hydrogrenats ont dès lors pu constituer un environnement prébiotique favorable.
Source:
Life in the hydrated suboceanic mantle, Bénédicte Ménez, Valerio Pasini and Daniele Brunelli, Nature Geoscience, 5 (2), 133-137, doi:10.1038/ngeo1359
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