Au cours des dernières décennies, de nombreux microorganismes capables de prospérer dans des habitats extrêmes ont été découverts. Ces extrêmophiles supportent, voire exigent, de très hautes températures, une acidité extrême, une forte salinité, ou de fortes doses de radiations… Il a été initialement suggéré que la vie aurait pu apparaître dans des milieux extrêmes similaires et donc que les adaptations présentées par les extrêmophiles actuels avaient été héritées des premières formes de vie. Mais aucune de ces allégations n’ont résisté à une étude attentive. L’élucidation des particularités métaboliques et des protéines de ces espèces, de leurs mécanismes de défense et de réparation spécifiques, ont plutôt conduit à une conclusion non moins passionnante : la vie est parvenue (et parvient toujours) à s’adapter à des environnements extrêmes !
Une nouvelle étape dans les facultés d’adaptation des extrêmophiles semblait être franchie fin 2010, alors qu’une publication (Wolfe-Simon et al. 2010) tentait de montrer qu’une bactérie isolée à partir du lac Mono, en Californie (souche GFAJ-1), pouvait faire varier la composition élémentaire de ses biomolécules en remplaçant par l’arsenic (As) ses atomes de phosphore (P). Si elle était confirmée, cette découverte ouvrirait la possibilité que la combinaison hydrogène, carbone, azote, oxygène, soufre, et phosphore pourrait ne pas être la seule recette pour la vie et que la vie sur d’autres planètes et même sur la Terre pourrait avoir commencé avec d’autres éléments. Cette annonce, lors d’une conférence de presse organisée par la NASA, et dont l’annonce cryptique (suggérant un bouleversement spectaculaire concernant la recherche de la vie ailleurs que sur la Terre) avait généré un buzz sur internet peu commun pour les communications scientifiques. S’en suivi une controverse médiatique virulente où le débat scientifique s’effectua plus sur les blogs des chercheurs (voir par exemple ici et ici …) et dans la presse grand public qu’au cours d’échanges scientifiques dans les congrès internationaux et les revues à comités de lecture.
L’effervescence retombée, dans l’issue du journal Science parue le 3 Juin 2011, une série de commentaires scientifiques est publiée sur cette question (8 des 25 reçus par la revue). Tous pointent vers la même conclusion : les résultats présentés par Wolfe-Simon et al. fournissent un exemple supplémentaire de la capacité de la vie à faire face à des conditions extrêmes, mais ne révèlent pas que la vie peut émerger voire subsister sur des éléments différents de C, H, O, N, S et P. Les mesures effectuées et présentées ne permettent pas de montrer que l’arsenic a effectivement substitué le phosphore dans les molécules d’ADN et ARN, et ne s’est pas simplement accumulé dans les membranes des cellules. De plus, il semble impossible qu’un ADN ou ARN basé sur de l’arsenic soit suffisamment stable (il serait immédiatement hydrolysé) pour assurer la survie d’une espèce contenant de telles molécules.
Les auteurs de l’article mis en cause gardent cependant leur cap et tentent de répondre à ces remarques dans la même issue du journal. Ils mettront bientôt à disposition de la communauté scientifique la souche de bactérie qu’ils ont testée, afin que d’autres équipes volontaires puissent chercher à reproduire leurs mesures, et mener les analyses contradictoires et complémentaires qui devraient permettre de trancher la question.
A suivre donc… Et patience avant de bouleverser les programmes de biochimie et réécrire les livres…
Un commentaire sur l'article Retour sur la bactérie à l’arsenic de Wolfe-Simon et al…