Par Hervé Cottin, Astrochimiste au LISA (UPEC)
Article publié originellement sur le site du Huffington Post
Depuis quelques jours, beaucoup de médias ont relayé une information mentionnant que les observations de la sonde Rosetta seraient compatibles avec la présence de vie sous forme bactérienne dans la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko (dite Tchouri). Les étonnantes structures géologiques observées en surface, la présence de molécules organiques, le simple fait que la comète soit très sombre serait une preuve que la vie y est présente ! Annonce fascinante certes, mais qui n’est soutenue par aucun argument rationnel, si ce n’est la volonté de ses auteurs, jamais démentie depuis des décennies, de voir de la vie dans quasiment chaque recoin de l’univers.
La mission Rosetta nous révèle depuis bientôt un an le fascinant visage de la comète 67P, avec des dépressions, des régions lisses, d’autres fracturées et tourmentées, que nous nous efforçons d’interpréter au fur et à mesure que la comète se rapproche du Soleil, que son activité augmente, et que des jets de gaz provenant de ses couches internes viennent bouleverser la surface, créant des effondrements de terrain, des puits, des terrasses, en éjectant des fragments dont certains vont retomber sur la surface et d’autres s’éloigner à tout jamais entrainés dans la chevelure cométaire. Dans les mois qui viennent, nous serons grâce à Rosetta les témoins privilégiés de nouvelles transformations de la comète 67P lors de son parcours autour du Soleil. Il faudra à nouveau des mois, voire des années pour les comprendre, car elles se produisent en microgravité, et ce qui peut sembler « naturel » sur Terre ne l’est pas dans l’environnement cométaire, et vice-versa. Par exemple, l’eau, qui est abondante sous forme de glace à l’intérieur du noyau, ne peut former des lacs liquides à la surface, car la pression y est insuffisante.
La façon dont la surface de la comète évolue nous donnera des informations sur sa structure interne et la façon dont elle s’est formée il y a 4.5 milliards d’années… La comète nous dévoilera les toutes premières pages de l’histoire de notre Système Solaire. Il n’y a pas besoin de faire appel à la présence de la vie pour interpréter les structures du noyau. Il faudra du travail et les excellents géologues qui se penchent très sérieusement sur les données. Plaquer des interprétations prédigérées (« c’est de la vie ! ») à toute nouvelle observation, ne changera rien à ce travail de fond, à part embrouiller l’esprit du public.
La présence de matière organique dans la comète 67P n’est pas une surprise. Que cette matière organique soit complexe, sombre, n’est pas non plus une découverte. Et qu’elle n’ait rien à voir avec la présence de vie aussi. En revanche, caractériser méticuleusement cette matière est l’un des enjeux de la mission. Depuis les années 1970, de nombreuses expériences en laboratoire sont menées sur des mélanges gelés composés entre autres d’eau, de dioxyde de carbone, de méthane, et d’ammoniac (des petites molécules détectées en abondance dans l’atmosphère des comètes). Si ces glaces sont soumises à une lumière UV ou à une irradiation par des particules énergétiques similaires à celles que rencontrent les glaces cométaires, les petites molécules vont réagir et former des produits plus lourds, plus complexes, et au final, à fortes doses de radiations, former une croûte brunâtre puis noire. Un processus qui n’est pas très éloigné de celui que vous observez si vous mettez du sucre dans une casserole: vous passerez d’une matière blanche, à un délicieux caramel roux, et en fin de compte, si vous oubliez de surveiller la cuisson, une croute noire dont vous n’arriverez plus à vous débarrasser. Vous carbonisez votre matière: c’est-à-dire que vous allez perdre progressivement les atomes d’azote, oxygène et hydrogène de votre matière initiale, pour former un agrégat de macromolécules carbonées faiblement hydrogénées. Diriez-vous que ce sont des bactéries qui transforment votre sucre en caramel puis en résidu noir? C’est pourtant à peu près le même raisonnement qui est suivi par les chercheurs qui proclament que les comètes contiennent de la vie. Impossible de conclure qu’il y a de la vie car il y a de la matière organique, même si l’appellation matière organique peut être trompeuse et « sonner » comme le mot « organisme » aux oreilles du public qui n’a pas forcément gardé un bon souvenir de la chimie au collège et au lycée.
Un dernier point, cette fois-ci plus éthique, doit être soulevé en ce qui concerne ces « révélations ». Leurs auteurs, emmenés par Chandra Wickramasinghe, ont publié leurs conclusions dans un journal dont l’éditeur en chef n’est autre que Chandra Wickramasinghe lui-même ! Tout simplement car aucun journal scientifique crédible n’aurait accepté de les relayer. Le spectre infrarouge de la surface cométaire y est par exemple comparé avec un spectre de bactéries. Les deux mesures présentent en effet des similitudes, mais tout simplement car on y voit qu’il y a du carbone et de l’hydrogène. Le même genre de spectre est obtenu lorsqu’on irradie des mélanges de glaces telles que celles qui sont décrites précédemment. On ne peut donc absolument pas conclure à la présence de vie à partir de ces mesures. Monsieur Wickramasinghe s’autoproclame comme l’un des fondateurs de l’exobiologie (astrobiology en anglais). Il fait cependant énormément de tort à la discipline en colportant ses théories fantaisistes. L’objectif de l’exobiologie n’est pas de chercher de prouver coûte que coûte que la vie existe ailleurs dans l’univers. Il s’agit de chercher à comprendre comment elle est apparue sur notre planète il y a près de 4 milliards d’années, peut-être même avec l’aide des comètes qui ont pu apporter des molécules organiques qui mélangées aux océans liquides de notre planète auraient pu évoluer vers la vie. L’étude de ce scénario est d’ailleurs l’un des objectifs de la mission Rosetta. Notre compréhension de l’apparition de la vie sur Terre peut alors éclairer notre démarche pour la recherche ailleurs : sur Mars, sous les glaces du satellite de Jupiter Europe, sur certaines des milliers d’exoplanètes que nous avons découvertes et commençons à observer…
Proclamer que nous ne sommes pas seuls dans l’univers nécessitera des preuves irréfutables, soumises à un débat scientifique contradictoire, et qui remporteront l’adhésion de tous les spécialistes du domaine… même (surtout !) les plus sceptiques d’entre eux quant à la possibilité d’une vie ailleurs que sur la Terre.
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