Par François Orange, Géologue
La recherche des plus anciennes traces de vie fossiles sur Terre est l’un des principaux centres d’intérêts des recherches actuelles en exobiologie, puisqu’elle pourrait à terme nous aider à comprendre comment la vie est apparue sur Terre, mais également nous aider à identifier de possibles traces de vie sur d’autres planètes, comme par exemple Mars.
Ces dernières années, notre compréhension des mécanismes de fossilisation et de préservation des micro-organismes s’est considérablement améliorée. Un certain nombre de microorganismes fossiles, de différentes morphologies (coques, filaments…) ont ainsi été identifiés dans les roches terrestres les plus anciennes (datant d’entre 3,5 et 3,3 milliards d’années) (Fig. 1). Des études ont été menées au niveau des sources chaudes (comme celles de Yellowstone) dont les eaux riches en silice ont permis la très bonne préservation des communautés microbiennes qui s’y développent. Enfin, la fossilisation expérimentale de nombreux types de micro-organismes a également fourni de précieuses informations pour mieux comprendre comment des organismes si petits avaient pu être si bien préservés dans les roches anciennes.
Fig. 1 : Colonie de micro-organismes fossilisés, identifiée dans des roches du Pilbara, Australie, datant de ~3,5 milliards d’années (Westall et al., 2006)
Toutefois, si la fossilisation expérimentale a permis de montrer qu’un grand nombre de micro-organismes pouvaient être fossilisés, elle n’avait paradoxalement que très peu été appliquée jusqu’à présent aux types de micro-organismes que l’on considère comme analogues aux formes de vie primitives.
L’objectif de notre étude était donc d’étudier la fossilisation expérimentale de micro-organismes qui auraient pu vivre dans les conditions supposées de la Terre primitive. Avec une Terre primitive possédant une atmosphère dépourvue d’oxygène et des océans beaucoup plus chauds qu’aujourd’hui (autour de 60°C), on considère en effet que les formes de vie présentes à l’époque étaient thermophiles voire hyperthermophiles, et anaérobies. Des espèces de micro-organismes similaires se trouvent encore actuellement au niveau des fumeurs noirs ou des sources chaudes. Ces environnements sont également les seuls où des micro-organismes sont encore fossilisés par silicification. Ce procédé était systématique dans les océans primitifs en raison d’une saturation en silice, mais ne l’est plus actuellement, hormis localement, depuis que des organismes, comme les Diatomées, ont immobilisé la silice.
Notre choix s’est porté sur les espèces Methanocaldococcus jannaschii et Pyrococcus abyssi (Fig. 2), toutes deux hyperthermophiles et appartenant au domaine des Archées, qui est un domaine à part dans l’arbre du vivant, constitué uniquement de micro-organismes extrêmophiles et à l’organisation extrêmement simple. Ces deux espèces ont été identifiées au niveau de fumeurs noirs. Aucune précédente étude de fossilisation expérimentale n’avait porté sur des Archées.
Fig. 2 : Cellules de M. jannaschii et P. abyssi, vue en microscopie électronique à balayage.
La fossilisation expérimentale a été effectuée en injectant dans le milieu de culture des micro-organismes encore vivants une solution concentrée de silice. La fossilisation s’est ensuite effectuée sur des durées allant jusqu’à un an, après quoi les échantillons ont été observés en microscopie électronique.
Les observations ont montré que les cellules de P. abyssi avaient été très bien fossilisées. La silice s’est progressivement fixées sur la paroi des cellules, pour former au final une fine couche de silice. Après un an de fossilisation, les cellules étaient parfaitement identifiables, et très bien préservées, bien que profondément enfouie dans un précipité de silice (Fig. 3). Toutefois, en raison de la simplicité de structure de la paroi de cette Archée et en comparaison avec les résultats de précédentes fossilisations expérimentales de Bactéries, nous avons constaté que les cellules mettaient davantage de temps à être fossilisées et que la quantité de silice fixée par la paroi était bien moindre. Le fait que les cellules de P. abyssi soient restées vivantes plusieurs mois après le lancement de la fossilisation a certainement permis une meilleure fossilisation, en laissant le temps à la silice de se fixer sur les structures cellulaires et de les préserver avant que celles-ci ne se dégradent. Ces résultats montrent donc que les Archées peuvent, comme les Bactéries, être fossilisées et donc potentiellement présentes parmi les microfossiles identifiés dans les roches anciennes.
Fig. 3 : Cellules de P. abyssi (C) après 9 mois de fossilisation expérimentale, piégées dans un précipité de silice (Si), vue en microscopie électronique à balayage. De fines particules de silice se sont fixées sur la paroi des cellules (flèche).
A l’inverse, les cellules de M. jannaschii sont toutes mortes en moins d’une semaine, et leur restes n’ont que très peu été préservés. Cette mort était naturelle, et n’était pas la conséquence de la fossilisation. Comme nous l’avons vu, la silice ne fixe que très lentement sur les Archées, et n’a donc pas pu préserver les restes cellulaires. Il s’agit du premier cas observé de non-fossilisation d’un micro-organisme. Et les implications de ce résultat sont multiples.
Cela illustre tout d’abord qu’il y a de grandes différences lors de la fossilisation entre des espèces qui sont relativement similaires, et qui sont présentes dans des environnements similaires. Si la fossilisation des micro-organismes est un processus extrêmement long, les premiers instants du processus apparaissent déterminants pour la préservation, ou non, des micro-organismes.
Le fait que toutes les espèces de micro-organismes ne puissent être fossilisées signifie que les micro-organismes fossiles que l’on trouve dans les roches anciennes ne représentent qu’une partie de la communauté microbienne d’origine. Il s’agit probablement la fraction la plus robuste, celle qui a été capable de survivre ou de ne pas se dégrader le temps que la silice se dépose en quantité suffisante sur les structures cellulaires pour permettre leur préservation.
Cette étude a également des implications pour la recherche d’une vie présente ou passée sur Mars. En effet, on est maintenant certain qu’il y a eu à la surface de Mars de grandes quantités d’eau liquide. De plus les dernières sondes spatiales ont mis en évidence la probable présence de systèmes hydrothermaux, similaires à ceux que l’on trouve sur Terre, où se sont développés des écosystèmes bactériens. Par conséquent, si la vie est apparue sur Mars, il est fort possible que des traces de vie aient été fossilisées et préservés, et puissent être retrouvées.
Pour en savoir plus :
Orange, F., Westall, F., Disnar, J. R., Prieur, D., Bienvenu, N., Leromancer, M., and Defarge, C., 2009. Experimental silicification of the extremophilic Archaea Pyrococcus abyssi and Methanocaldococcus jannaschii: applications in the search for evidence of life in early Earth and extraterrestrial rocks. Geobiology 7, 403-418.
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