Par Vassilissa Vinogradoff, doctorante au PIIM,
Les glaces interstellaires constituent une grande partie de la matière sous forme solide dans le milieu interstellaire (MIS) au sein des nuages moléculaires, des environnements protostellaires ou protoplanétaires. Sur des grains de silicates ou de matières carbonées, les glaces se forment par accrétion des molécules et atomes de la phase gazeuse en raison du froid extrême qui règne dans ces environnements (10 K). Elles forment des manteaux de glaces dites primitives. Ces glaces sont composées principalement d’eau (H2O), mais aussi de CO, CO2, H2CO, CH3OH, NH3, molécules détectées grâce aux observations des différents environnements astrophysiques.
Sous l’effet des processus énergétiques (UV, effets thermiques, rayons cosmiques) émanant des étoiles proches, la composition des glaces va évoluer conduisant à la formation de molécules plus complexes. La coagulation successive de ces grains, qui va se dérouler lors de la formation d’une nouvelle étoile mènera à la formation de d’objets comme les comètes, ou les astéroïdes dans lesquels des molécules encore plus évoluées vont se retrouver au sein d’une composante organique qui restera solide même si la matrice originelle de glaces se volatilise. Ces comètes et météorites ont sans doute joué un rôle primordial en ensemençant la terre primitive en molécules prébiotiques (acides aminés, bases puriques et pyrimidiques, sucres, acides gras), ou en précurseurs de celles-ci, qui sont les briques de base des molécules du vivant (protéines, acides nucléiques…). Connaitre la nature de cette composante organique complexe est donc crucial pour bien comprendre l’évolution de la matière lors de l’effondrement des nuages moléculaires donnant naissance aux systèmes planétaires.
En 2011, une équipe du PIIM avait démontré que le HMT (hexaméthylènetétramine), une molécule détectée en abondance dans la matière organique réfractaire des analogues de laboratoire simulant la chimie des glaces interstellaires et cométaires, se formait à partir de 3 molécules clés, présentes au sein des glaces interstellaires primitives : le formaldéhyde (H2CO), l’ammoniac (NH3) et l’acide formique (HCOOH) par un simple réchauffement thermique des glaces entre 10 K et 300 K. Puis grâce à des études portant sur des glaces de compositions bien spécifiques, assez éloignée des mélanges « naturels », le mécanisme de formation du HMT dans les analogues de glaces interstellaires irradiés et réchauffés a pu être établi (Vinogradoff et al., 2012). Enfin, en collaboration avec le LISA, ces études ont été confrontées à un analogue de glace interstellaire « classique », c’est à dire composé de H2O : CH3OH : NH3 à 20 K, irradié par des photons UV (photolyse) à basse température puis réchauffé, formant un résidu à température ambiante dans lequel HMT est observé à hauteur de 50 % en masse. Les intermédiaires déterminés pour la formation du HMT à partir des mélanges spécifiques sont bel et bien détectés dans le réchauffement de la glace « classique » photolysée. L’étape de photochimie à basse température conduit à la formation des molécules clés pour HMT : le formaldéhyde et l’acide formique. Le réchauffement de la glace photolysée mène quant à lui à la formation des intermédiaires (l’aminométhanol, NH2CH2OH, et le tétraméthylénetétramine, TMT). En extrapolant ces résultats aux échelles de temps astrophysiques, il est montré que le HMT se formerait à des températures de 200 K. Ainsi, contrairement a ce qui était précédemment admit, HMT n’est pas un indicateur de processus d’irradiation UV ou par rayons cosmiques des glaces, mais le HMT et ses précurseurs seraient plutôt des indicateurs d’un réchauffement de la glace et pourraient être utilisés comme un indicateur, fixant ainsi le maximum de température atteint dans le corps parent.
Le HMT sera une molécule qui sera activement recherchée par les instruments de la sonde spatiale européenne ROSETTA à partir de la fin de l’été 2014. Cette étude conjointe du PIIM et du LISA permettra de mieux connaître l’histoire de la comète Churyumov-Gerasimenko que le HMT soit détécté ou pas.
Pour en savoir plus :
Vinogradoff V., Rimola A. Duvernay F., Danger G., Theulé P., Chiavassa T. Mechanism of Hexamethylentetramine (HMT) formation in interstellar conditions, Physical Chemistry Chemical Physics, 2012, 14, pp12309 (accès sur abonnement)
Vinogradoff, V., Fray, N., Duvernay, F., Briani, G., Danger, G., Cottin, H., Theulé, P., Chiavassa, T., 2013. Importance of thermal reactivity for hexamethylenetetramine formation from simulated interstellar ices. Astronomy & Astrophysics 551, id.A128, 129 pp. (accès libre)
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