Société Française d'Exobiologie

Émergence de la vie : vers des modèles chimiques minimaux

Par Robert Pascal

Un article de perspective paru dans Chemistry – A European Journal évalue un modèle théorique minimaliste de processus vivants en considérant des cycles autocatalytiques simples, mais dont l’originalité est de pouvoir devenir cinétiquement stables bien que composés uniquement d’intermédiaires thermodynamiquement instables.

La capacité de croissance de ces systèmes leur confère une stabilité cinétique compensant ainsi leur instabilité thermodynamique. Ils nécessitent la présence d’une source d’énergie libre pouvant les maintenir de manière continue loin de l’équilibre dans un état de stabilité cinétique dynamique, faute de quoi tous leurs composants sont condamnés à disparaître totalement. Ils ne peuvent donc persister que s’ils reçoivent une alimentation en énergie libre apte à les entretenir. Ils reproduisent le comportement des êtres vivants capables d’émerger, de croître, de rentrer en compétition avec des congénères et de mourir. Cet article propose d’évaluer leur contribution possible à l’origine de la vie.

Leur émergence pourrait être favorisée par la diversité de la matière organique abiotique contredisant ainsi le préjugé selon lequel sa nature de mélange inextricable, constatée expérimentalement au sein des météorites par exemple, serait un obstacle à l’auto-organisation de la vie. Ils pourraient au contraire être initiés au hasard par la formation d’un seul exemplaire d’une espèce chimique très rare et très instable au sein d’un fouillis moléculaire. Mais leur capacité à donner lieu à un comportement darwinien signifie qu’une telle émergence ne permet en aucun cas d’exclure celle, plus tardive, d’un système analogue dépendant de la même source d’énergie et capable de rentrer en compétition avec le premier et de le remplacer. Cette impossibilité fonde la tendance à une évolution comme conséquence inéluctable de l’existence d’un déséquilibre thermodynamique de degré suffisant au sein d’un environnement caractérisé par une grande diversité chimique. Cela voudrait dire que la diversité quasi infinie de la chimie organique pourrait constituer une source contingente de variation jouant ainsi vis-à-vis de l’évolution un rôle analogue à celui de la diversité des séquences d’acides nucléiques. De manière inattendue, l’information transmise de génération en génération par la séquence d’un polymère pourrait n’être apparue qu’ultérieurement à l’émergence de ces systèmes. En elle-même, leur présence constitue d’ailleurs un élément d’information caractérisant l’état cinétique du milieu dans lequel ils se trouvent et se transmet comme un facteur épigénétique qui aurait donc précédé l’information génétique associée à la séquence des acides nucléiques.

Non seulement l’émergence de ces systèmes se manifesterait comme une sorte de génération spontanée, mais l’apparence d’une force vitale associée à leur croissance pourrait aussi être expliquée sans nécessiter d’autre élément que des notions de physique et de chimie. Il y a plus d’un siècle, le modèle de l’atome de Bohr représentait un premier pas vers la compréhension du lien entre la structure atomique et les propriétés chimiques des éléments permettant ainsi d’intégrer la chimie au sein des sciences physiques. Les avancées réalisées dans les recherches en chimie des systèmes peuvent jouer un rôle comparable vis-à-vis de la biologie en conduisant à des modèles. L’interprétation des fondements de la biologie devient alors possible en termes de processus chimiques selon des lignes de pensée associées à la dynamique de systèmes plutôt que seulement à partir de la structure et de la réactivité des composants biochimiques individuels. La question de l’origine ne constitue plus qu’une étape particulière au sein du processus global d’évolution du vivant.

  • R. Pascal, Evolutionary Abilities of Minimalistic Physicochemical Models of Life Processes. Chem. Eur. J. 2024, 30, e20241780. https://doi.org/10.1002/chem.202401780. Article en accès libre.

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