Par Grégoire Danger, laboratoire de Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires (PIIM)
La matière telle que nous la connaissons au sein de notre système solaire s’est formée tout au long de l’évolution de notre étoile qu’est le Soleil. Lorsque la protoétoile, qui donnera naissance par la suite au Soleil, s’est formée lors de l’effondrement d’une partie d’un nuage moléculaire dense, elle a irradié les grains interstellaires de rayonnement ultraviolet ainsi que de radiations infrarouges, réchauffant ainsi les grains encore présents au sein de l’enveloppe préstellaire. L’ensemble de ces processus associés aux rayonnements cosmiques ont permis à la matière organique initialement présente au sein des grains interstellaires d’évoluer vers une complexité croissante. Ces grains plus ou moins évolués se sont ensuite agglomérés pour mener à la formation des objets formant notre système Solaire. Cette complexité moléculaire se retrouve maintenant au sein des comètes et astéroïdes, ces classes d’objets n’ayant subi que peu d’altération ultérieure à leur formation. Sur Terre, les météorites sont des objets de choix pour obtenir un premier aperçu de la matière organique qui vient de cette évolution puisqu’elles sont des reliquats de leur corps parents qu’étaient les comètes et astéroïdes. Cette évolution de la matière organique des nuages moléculaires denses jusqu’au sein des objets de système planétaire peut être considérés comme universelle. Ceci implique que la matière organique telle que nous la connaissons au sein des petits objets de notre système Solaire est susceptible d’être présente au sein d’autres systèmes planétaires. Or certaines hypothèses présentent l’apport de matière organique via les comètes et les astéroïdes sur Terre comme une source de matière organique ayant pu être à l’origine du développement d’une chimie prébiotique prélude à l’émergence de systèmes biochimiques. Est-ce qu’il pourrait en être de même dans d’autres systèmes?
La compréhension de l’évolution chimique de la matière organique au cours de l’évolution stellaire doit donc nous permettre à terme d’obtenir des informations sur l’origine de la matière organique et sous quelle forme elle peut être disponible au sein de systèmes planétaires. Comme nous l’avons dit précédemment, l’analyse des météorites ainsi que l’observation des objets astrophysiques que sont les comètes et astéroïdes permettent d’apporter des éléments importants pour répondre à ces questions. Cependant la complexité de ces objets rend cette tâche difficile. C’est pourquoi une approche complémentaire est développée au sein de certains laboratoires qui consiste à simuler expérimentalement l’évolution de cette matière organique en recréant les différents processus auxquels elle peut être soumise des nuages moléculaires denses jusqu’à son incorporation au sein de systèmes planétaires. L’intérêt de cette approche est qu’il est possible d’étudier chaque étape de l’évolution chimique séparément tout en permettant une approche globale de cette évolution. Il est ainsi possible de comprendre la chimie qui y a lieu et de caractériser in fine la composition de la matière organique formée en fin de processus.
Les équipes du laboratoire de Physique des Interactions Ioniques et Moléculaires de Marseille (PIIM), de l’Institut d’Astrophysique Spatiale d’Orsay (IAS) et de l’Institut de Planétologie et d’Astrophysique de Grenoble (IPAG) se sont intéressées à caractériser la matière organique formée en fin de simulation de cette évolution chimique. Après avoir irradié par un rayonnement ultraviolet et réchauffé un analogue de glace interstellaire formé d’eau, de méthanol et d’ammoniac en proportion 3:1:1, ils ont récupéré le résidu organique restant à la surface de leur support et l’ont analysé. L’originalité de leur approche a consisté à dégrader le moins possible ce résidu et à ne chercher aucune molécule en particuliers, à la différence de ce qui a pu être fait jusqu’à maintenant. L’idée étant d’obtenir une analyse fournissant des informations sur l’ensemble des molécules formant ce résidu. Pour cela, le résidu organique a été simplement solubilisé dans du méthanol et injecté via une source d’ionisation par electrospray dans un spectromètre de masse très haute résolution. Ce protocole permet ainsi de minimiser au maximum la dégradation des molécules présentes initialement au sein du résidu. Les analyses ont montré que ces échantillons présentent une très grande diversité moléculaire (plusieurs dizaines de millier de molécules) et que des macromolécules présentaient des masses allant jusqu’à 4000 Da. Ces analyses montrent ainsi la richesse et la complexité des processus chimiques qui peuvent avoir lieu, puisqu’en partant uniquement de trois molécules simples que sont l’eau, le méthanol et l’ammoniac, le résidu organique récupéré contient une diversité moléculaire extrêmement importante. Par ailleurs, la comparaison des données obtenues sur ces résidus à celles obtenues lors de l’analyse de météorite montre que ces résidus peuvent être considérés comme des analogues de la matière organique soluble des météorites, et qu’ils sont ainsi un support intéressant pour l’étude de la formation de matière organique présente au sein de ces objets.
Pour en savoir plus :
Danger, G., Orthous-Daunay, F.R., Marcellus, P.d., Modica, P., Vuitton, V., Duvernay, F., Flandinet, L., d’Hendecourt, L.L.S., Thissen, R., Chiavassa, T., 2013. Characterization of laboratory analogs of interstellar/cometary organic residues using very high resolution mass spectrometry. Geochimica et Cosmochimica Acta 118. (accès à l’article avec abonnement)
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