Par Gilles Bruylants, ULB
Pour être reconnue en temps que telle, une science se doit de définir ses objectifs. Il en va de même pour la chimie prébiotique.
Celle-ci pourrait être définie comme l’étude de l’évolution chimique ayant conduit à la formation des premiers organismes vivants. Le passage du « non-vivant » au « vivant » a forcément été progressif et la logique aristotélicienne, qui veut qu’un élément n’appartienne qu’à une seule de ces classes (« vivant » ou « non-vivant »), ne permet donc pas de caractériser de manière satisfaisante les systèmes durant la période prébiotique.
Dans les années soixante Zadeh a introduit un outil méthodologique, la logique floue, permettant de traiter ces questions pour lesquelles il n’existe pas de critères clairs quant à l’appartenance exclusive à une classe. En logique floue, un objet est caractérisé par un index, variant de 0 à 1, caractérisant son appartenance plus ou moins grande à une classe. Un indice 1 signifie que l’objet appartient exclusivement à la classe A, mais rien n’empêche un objet d’appartenir simultanément à la classe A et à la classe B. Dans un tel cas, l’objet est caractérisé pour chacune de ses classes par un index compris entre 0 et 1. La chimie prébiotique peut ainsi être considérée comme la recherche des mécanismes réactionnels ayant mené à la transition de systèmes caractérisés par un index de 0 sur l’échelle du vivant vers des systèmes caractérisés par un index de 1.
Bien évidemment, le choix des critères permettant de définir les limites extrêmes de l’échelle qui va du non-vivant (classe A) au vivant (classe B) sont nécessairement conventionnels et les auteurs font une proposition en la matière. Ils accordent la valeur 1 à la cellule et la valeur 0 aux molécules, mêmes constitutives des êtres vivants, pour autant que ces molécules existent dans la nature et résultent de synthèses abiotiques. C’est le cas des acides aminés qui, ont le sait, sont présents dans la matière chondritique.
Selon les auteurs d’un article récent paru dans les « Comptes Rendus Chimie », les expériences historiques de Stanley Miller qui, à l’époque relevaient de la chimie prébiotique (elles n’avaient pas encore été détectées dans la chondrite de Murchison), n’en relèveraient plus si elles étaient pratiquées aujourd’hui. En revanche, les travaux visant à trouver des voies de synthèse de nucléotides dans les conditions qui prévalaient sur la Terre primitive, relève aujourd’hui de la chimie prébiotique ; un nucléotide est déjà « un peu » vivant et un polynucléotide l’est plus encore !
Pour en savoir plus :
Bruylants, G., Bartik, K., and Reisse, J., 2011. Prebiotic chemistry: A fuzzy field. Comptes Rendus Chimie 14, 388-391. (lien)
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