Société Française d'Exobiologie

Des comètes et des POMs : la chimie en renfort de l’astronomie

Par Hervé Cottin

De la matière primitive dans un congélateur, où le temps se serait figé, c’est ainsi que l’on pourrait considérer les comètes, objets qui comptent parmi les corps les plus mystérieux du Système Solaire. Tout comme les planètes, elles se sont formées à partir du matériau contenu dans un nuage moléculaire qui s’est effondré sur lui-même pour donner naissance à notre Soleil et son cortège de planètes. Cependant, en raison de leur petite taille, la plupart des comètes n’ont probablement pas subi de processus de différentiation , et de plus, conservées aux confins du Système Solaire, dans les régions les plus froides et les plus reculées, elles ont été particulièrement préservées du rayonnement Solaire. Ainsi, il est généralement admis que les comètes pourraient contenir en leur sein de la matière qui n’aurait pas évolué depuis leur formation, et qui serait donc le reflet des conditions physico-chimiques qui régnaient dans la nébuleuse solaire, au moment de la formation de notre système. On appelle donc souvent les comètes « les archives du ciel ».

On ne connaît à l’heure actuelle que peu de choses au sujet du noyau des comètes : un mélange de glaces et de poussières, qui sublime à l’approche du Soleil pour former la coma , et les queues qui peuvent être parfois observées à l’œil nu depuis la Terre. C’est principalement l’atmosphère des comètes qui peut être sondée depuis la Terre, et à l’heure actuelle, plus d’une vingtaine de petite molécules ont pu y être identifiées (principalement H2O, CO, CO2, mais aussi une grande diversité de composés organiques volatiles : CH4, CH3OH, HCN, HCOOH…). Mais d’après les toutes premières analyses in-situ (sondes Giotto et Véga lors de l’exploration de la comète de Halley en 1986), complétées par des expériences menées en laboratoire sur des analogues de glaces cométaires, tout laisse à penser que les comètes pourraient contenir en leur sein des structures moléculaires bien plus élaborées que celles qui ont pu être détectées à ce jour. Cette composante organique réfractaire ne peut pas être mesurée directement à l’heure actuelle.

Cependant, dans l’attente de l’arrivée de la sonde européenne ROSETTA et de son atterrisseur PHILAE au voisinage de la comète P/Churyomow-Gerasimenko en 2014, des chimistes, sans même sortir de leur laboratoire, peuvent déjà venir en aide aux astronomes qui scrutent les comètes pour les aider à en percer les secrets. C’est le cas de l’équipe de physico-chimistes du LISA (Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques, UMR 7583 CNRS, Université Paris 7 et Paris 12). En effet, à l’aide d’un dispositif expérimental permettant de mesurer la vitesse de dégradation de molécules organiques solides sous l’action de la chaleur ou de rayonnement ultraviolet, le groupe de physico chimie organique spatiale s’est attaqué à l’épineux problème des sources étendues.

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Figure 1 : Dispositif expérimental développé au LISA permettant l’étude de la photodégradation de molécules d’intérêt cométaire. Expérience S.E.M.A.PH.OR.E. Cométaire (Simulation expérimentale et Modélisation Appliquées aux PHénomènes ORganiques dans l’environnement Cométaire)..

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Depuis plus d’une dizaine d’années, la molécule de formaldéhyde (H2CO) intrigue les observateurs. Son comportement dans l’atmosphère cométaire est en effet particulièrement singulier puisque qu’il semblerait que ce composé ne soit pas produit uniquement à partir du noyau par sublimation de formaldéhyde gelé, mais qu’il serait au contraire progressivement formé à l’intérieur même de la coma. C’est ce qu’on appelle dans le « jargon cométaire » une source étendue. Aucun autre composé gazeux observé à ce jour, ne peut se transformer dans les conditions cométaires en H2CO pour rendre compte de ces observations.

Le polymère du formaldéhyde (le polyoxyméthylène, appelé aussi POM, -(CH2-O)n-), avait souvent été évoqué pour expliquer l’origine du formaldéhyde. Mais en l’absence de données expérimentales, le débat au sujet de la présence de ce composé solide dans les comètes était stérile car l’hypothèse restait invérifiable. Les chimistes du LISA ont donc patiemment mesuré tous les paramètres permettant de simuler le comportement du polyoxyméthylène sur le noyau et sur les grains cométaires, et la vitesse de production du formaldéhyde à partir de ce dernier. Munis de ces paramètres, ils ont pu introduire un nouveau type de modélisation de la chimie cométaire tenant compte des transitions hétérogènes solide/gaz par photo- et thermodégradation de la matière.

Une approche menée avec succès. En effet, la présence de quelques pourcents (en masse) de POM sur les grains cométaires permet de rendre compte de la distribution de H2CO mesurée dans l’atmosphère de la comète de Halley en 1986 en fonction de la distance au noyau (Cottin et al., 2004). Ce résultat est confirmé par une publication récente du même groupe associé cette fois-ci à l’équipe « comètes » d’astronomes de l’observatoire de Meudon. Dans cet article publié dans la revue Icarus, il est montré que la présence de POM permet d’interpréter la source étendue de formaldéhyde détectée dans la comète Hale/Bopp, mais cette fois non pas en fonction de la distance au noyau, mais en fonction de la distance de la comète au Soleil. Là encore, quelques pourcents de POM suffisent (Fray et al., 2006). Ces deux résultats concordants, obtenus pour deux comètes différentes, renforcent l’hypothèse de la présence du polymère sur les comètes, même s’il l’on ne peut pas encore à proprement parler d’une détection. Mais il s’agit à ce jour de la meilleure interprétation pour des observations restées longtemps énigmatiques. Les abondances de POM estimées à partir des modélisations du LISA sont compatibles avec des résultats obtenus dans d’autres laboratoires lors d’expériences menées des analogues de glaces cométaires.

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Figure 2 : Evolution de la densité de formaldéhyde en fonction de la distance au noyau de la comète de Halley. Carrés : mesure de sonde Giotto en 1986 pas spectrométrie de masse, courbe noire : meilleur ajustement en présence de H2CO sur le noyau, mais en absence de POM, courbe rouge : meilleur ajustement obtenu en considérant la présence de POM (4% en masse sur les grains)

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La question sera probablement tranchée grâce aux mesures de la sonde ROSETTA. Ces études en laboratoire préparent aussi l’interprétation des résultats de la mission spatiale en étudiant les processus qui permettront de faire le lien entre les mesures de la phase réfractaire et celles de la phase gazeuse.

Les chimistes se tournent maintenant vers d’autres composés et traquent l’origine d’autres sources étendues observées dans les comètes : le radical CN et la molécule CO. La phase réfractaire organique, face cachée des comètes, est déjà visible aux travers des sources étendues. Sa nature nous en dira plus sur les conditions qui régnaient dans notre Système Solaire il y a plus de 4,5 Milliards d’années. Les comètes sont les archives du ciel, et la chimie est la pierre de Rosette qui nous permettra de décrypter leur message.

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Publications

  • Cottin H., Bénilan Y., Gazeau M.-C., and Raulin F. (2004) Origin of cometary extended sources from degradation of refractory organics on grains : polyoxymethylene as formaldehyde parent molecule. Icarus 167, 397-416.

article

  • Fray N., Bénilan Y., Biver N., Bockelée-Morvan D., Cottin H., Crovisier J., and Gazeau M.-C. (2006) Heliocentric evolution of the degradation of polyoxylmethylene. Application to the origin of the formaldehyde (H2CO) extended source in comet C/1995 O1 (Hale-Bopp). Icarus 184(1), 239-254.

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