Société Française d'Exobiologie

Le sous-sol de la planète Mars primitive : une niche pour la vie ?

Par Olivier Poch, Doctorant, au LISA,

Un article de synthèse [1] récemment publié dans la revue Nature fait le point suite au nombre croissant de détections d’argiles et autres minéraux hydratés à la surface de Mars. Que nous apprennent ces minéraux sur l’histoire de la planète ? Les auteurs révèlent que la majeure partie des argiles détectées auraient été formées dans le sous-sol martien par des processus hydrothermaux plutôt qu’en surface dans des étendues d’eau liquide. Ces dernières auraient été relativement rares au cours de l’histoire de Mars, tandis que le sous-sol connaissait des conditions bien plus propices à l’émergence, voire au développement de la vie.

 

Depuis de nombreuses années, diverses formations géologiques liées à l’action de l’eau liquide (lits de rivières asséchées, deltas, anciens lacs…) ont été observées à la surface de Mars. L’image d’une planète Mars primitive au climat chaud et humide, et à l’atmosphère plus épaisse permettant un cycle hydrologique en surface semblable à celui de la Terre, était assez répandue. Mais depuis l’arrivée en orbite martienne des sondes Mars Express (2004) et MRO (2006), les indices sur l’environnement passé de Mars ne sont plus seulement morphologiques mais également minéralogiques. Les spectro-imageurs OMEGA et CRISM embarqués sur ces sondes ont détectés des minéraux hydratés (argiles et sulfates) formés en présence d’eau, dont la nature renseigne sur les conditions environnementales au moment de leur formation. C’est en se basant sur le nombre croissant de données acquises depuis 2004 et sur les mécanismes de formation des minéraux détectés que les auteurs de l’étude [1] proposent une nouvelle lecture de l’histoire de Mars.

 

Les cratères d’impacts et l’érosion exposent en surface des minéraux jadis enfouis dans le sous-sol martien. Les spectro-imageurs embarqués sur les sondes Mars Express et Mars Reconnaissance Orbiter permettent de déterminer leur nature en analysant la lumière qu’ils renvoient. (crédits : NASA/JPL-Caltech/JHUAPL)

 

Les argiles se forment généralement sur Terre via une érosion lente des roches par de l’eau liquide. Ce processus de formation a sans doute été similaire sur Mars, mais il n’a pas nécessairement eu lieu en surface. En effet, les argiles les plus abondantes sur Mars sont des smectites de fer et de magnésium (ex. : nontronite, saponite) dont la formation s’explique plus aisément par l’érosion de roches par de faibles quantités d’eau dans un système fermé (c’est à dire sans contact avec l’atmosphère) et à des températures relativement chaudes, jusqu’à 400°C pour certaines argiles détectées. Ces conditions de formation n’auraient pas été réunies à la surface de Mars : de grandes quantités d’eau en contact avec l’atmosphère auraient conduit à la formation d’argiles de composition élémentaire différente des smectites de fer et de magnésium observées en majorité sur Mars, dans la croûte des terrains les plus anciens.

 

Chronologie indiquant les ères géologiques de la planète Mars ainsi que la nature des environnements aqueux et des minéraux d’altération formés à l’époque et observés aujourd’hui dans différents endroits de la surface de Mars par CRISM et OMEGA. Figure adaptée de Ehlmann et al. 2011.

 

Selon ce scénario, de -4,1 à -3,7 milliards d’années, durant toute la période du Noachien, Mars a connu un sous-sol chaud et humide où avaient lieu des processus hydrothermaux entretenus par le bombardement météoritique, le volcanisme et le gradient géothermique. Cette sous-surface où les interactions entre eau liquide et roches étaient privilégiées a pu constituer un environnement idéal pour le développement et l’hébergement de systèmes vivants.

À l’inverse, la surface de Mars serait restée froide et aride, principalement gouvernée par des processus impliquant l’eau sous forme de glace ou de gaz, et seulement très ponctuellement sous forme liquide à la faveur de changements climatiques dus à une forte obliquité et/ou à des émissions volcaniques de gaz à effet de serre. Vers -3,7 milliards d’années, l’écoulement d’eau liquide en surface a pu connaître une activité importante, bien qu’éphémère, creusant lits de rivières et deltas, et formant des dépôts stratigraphiques d’argiles recouverts d’argiles riches en aluminium (ex. : montmorillonite) dont la formation est privilégiée en système ouvert (lorsque l’eau est abondante et en contact avec l’atmosphère). La disponibilité de l’eau liquide aurait été bien plus longue dans le sous-sol, avant de décliner progressivement avec la baisse des processus générateurs de chaleur (impacts, volcanisme et gradient géothermique évoqués précédemment).

 

Ce réseau fluviatile observé dans les terrains anciens de l’hémisphère sud de Mars par les orbiteurs Viking atteste de l’écoulement passé d'eau liquide sur Mars : mais pendant combien de temps ?... (crédits : NASA/JPL/Calvin Hamilton/LPI)

 

Ce scénario d’une planète Mars primitive à la surface froide et aride est en accord avec les modélisations atmosphériques [2] effectuées en laboratoire pour tenter de comprendre quel a pu être le climat martien il y a plus de 3,7 milliards d’années. Ces simulations numériques montrent qu’une atmosphère plus épaisse qu’aujourd’hui autour de Mars aurait effectivement permis une température de surface un peu plus chaude, mais cependant trop froide pour maintenir sur le long terme un climat chaud et humide comme sur Terre.

La sonde MAVEN (pour Mars Atmosphere and Volatile EvolutioN) qui sera lancée fin 2013 pourra apporter de nouveaux éléments de réponse. Elle analysera l’atmosphère martienne pour tenter de savoir si oui non elle était plus épaisse qu’aujourd’hui il y a environ 4 milliards d’années. Par ailleurs, le robot Opportunity analyse actuellement les rebords d’un cratère datant du Noachien autour duquel l’instrument CRISM a détecté des argiles. Enfin, le robot Curiosity de la mission Mars Science Laboratory sera lancé le 25 novembre et se posera début août 2012 dans le cratère Gale, notamment pour y analyser les argiles qui y ont été détectées.

 

Références :

[1] Bethany L. Ehlmann, John F. Mustard, Scott L. Murchie, Jean-Pierre Bibring, Alain Meunier, Abigail A. Fraeman & Yves Langevin, Subsurface water and clay mineral formation during the early history of Mars, Nature 479, 53–60, 3 novembre 2011, doi:10.1038/nature10582

[2] Ces modélisations sont réalisées au Laboratoire de Météorologie Dynamique de l’Université Pierre et Marie Curie. Robin Wordsworth, François Forget et leurs collègues ont présenté des résultats de modélisation de l’atmosphère de Mars primitive au congrès international DPS-EPSC qui s’est tenu à Nantes en octobre 2011. Voir par exemple : R. Wordsworth , F. Forget, E. Millour, J.-B.Madeleine & B. Charnay, Comparison of scenarios for Martian valley network formation using a 3D model of the early climate and water cycle, EPSC Abstracts, Vol. 6, EPSC-DPS2011-1373, 2011, EPSC-DPS Joint Meeting 2011 (http://meetingorganizer.copernicus.org/EPSC-DPS2011/EPSC-DPS2011-1373.pdf)

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