Article rédigé par Marine Laplace, stagiaire en médiation scientifique au Laboratoire Interuniversitaire des Systèmes Atmosphériques
Thérèse Encrenaz est directrice de recherche au CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) et travaille à l’observatoire de Paris au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (LESIA). Elle est spécialiste des atmosphères planétaires et a reçu le prix Kuiper par la Division des sciences planétaires de l’American Astronomical Society (AAS) en 2021, accordé pour l’ensemble de ses travaux qui ont contribué à une meilleure compréhension des atmosphères planétaires. Elle a joué un rôle dans la cartographie du peroxyde d’hydrogène et dans l’étude de sa variabilité saisonnière dans l’atmosphère martienne. Elle a été impliquée dans de nombreuses missions spatiales comme Vega, Galileo, Mars Express, Venus Express et Rosetta. Le 10 mars dernier, dans le cadre d’un webinaire organisé par la Société Française d’Exobiologie (SFE), elle a présenté les principales controverses autour de la vie extraterrestre depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Durant l’Antiquité, Épicure avait déjà admis qu’il croyait en une infinité de mondes. Fontenelle au XVIIème siècle et Flammarion au XIXème siècle pensaient que la vie existait sur les planètes de notre Système solaire. Pour eux, si la vie était présente sur Terre, elle devait l’être ailleurs.
Avant le début du XXème siècle, Mars suscite déjà de l’intérêt pour ceux qui sont en quête de la vie ailleurs1
La planète Mars est une planète tellurique plus petite et plus froide que la Terre à cause de sa plus grande distance du Soleil. Son axe de rotation est incliné avec un certain angle par rapport à la perpendiculaire au plan de son orbite autour du Soleil.2 Cet angle est égal à 23,44° pour la Terre et 25,19° pour Mars, qui possède alors une obliquité semblable à celle de la Terre.3 S’il y a des saisons sur Terre, c’est grâce à son obliquité, donc Mars possède aussi des saisons. Sa pression atmosphérique est 170 fois plus faible que la nôtre, avec 0,006 bar contre 1 bar sur Terre. Son atmosphère est composée en grande majorité de CO2 (dioxyde de carbone) et sa surface est désertique et abrite les volcans éteints les plus hauts du Système solaire !
À partir de 1877, l’astronome italien Giovanni Schiaparelli retranscrit sous forme de dessins ses observations de Mars. Il y voit ce qu’il appelle des « canaux », ressemblant à des réseaux de lignes sombres. Des scientifiques de l’époque, comme l’américain Percival Lowell, interprètent ces lignes comme le signe d’une vie intelligente. Les Martiens creuseraient des canaux pour irriguer leurs sols en eau. D’autres observateurs tentent leur chance d’apercevoir eux aussi ces fameuses lignes, mais sans succès. En 1930, Eugène Antoniadi, à partir d’un télescope de l’observatoire de Meudon en France, réalise un dessin plus précis que celui de Schiaparelli quelques décennies plus tôt et conclut à une illusion d’optique. Le mythe perdurera cependant jusqu’à l’arrivée de l’ère spatiale et de la sonde Mariner 9 du programme américain Mariner, parvenue en orbite autour de Mars en 1971.4 Les sondes Viking 1 et Viking 2 du programme américain Viking, arrivent à destination en 1976 avec l’objectif d’obtenir les premières photos de la surface de Mars, par exemple les volcans de Tharsis.5
Dessin de Mars de Schiaparelli à gauche et de Antoniadi à droite. Source : Encrenaz Thérèse, Lequeux James, La vie ailleurs : espérances et déceptions, France : edp sciences, 2021
La première grande mission d’exploration sur Mars
En 1975, les deux missions Viking quittent la Terre pour rejoindre Mars, chacune étant constituée d’un orbiteur et d’un atterrisseur très sophistiqués dans le but de faire des analyses à la fois en orbite et à la fois sur le sol martien.5 L’objectif est le suivant : chercher de la vie sur Mars, plus précisément, chercher des preuves d’existence de microorganismes sur Mars, en se basant sur les propriétés connues des microorganismes sur Terre. En fait, grâce à trois expériences de nature biologique, les scientifiques espèrent dans un premier temps mesurer la production de gaz par d’éventuels organismes vivants présents dans des échantillons de sol prélevés par les sondes Viking et mis en présence d’eau et de CO2. Les gaz qu’ils s’attendent à observer sont du dihydrogène (H2), du diazote (N2), du dioxygène (O2), du méthane (CH4) et du gaz carbonique (CO2), preuves d’un métabolisme actif. En effet, ce sont des produits généralement issus du métabolisme et du développement de microorganismes.
Dans un deuxième temps, des échantillons de roche martienne prélevés sont mis en présence d’une solution nutritive. Si des microorganismes sont présents dans ces échantillons alors ils doivent se multiplier grâce à la solution nutritive, donc les résultats doivent montrer des signes de développement de microorganismes.
Dans un troisième temps, ils attendent une preuve de photosynthèse sur des échantillons de Mars mis en contact avec du CO2, de l’eau et de la lumière. La preuve de photosynthèse est un indice de la présence de vie car elle est effectuée par les plantes, les algues ou les bactéries photosynthétiques sur Terre.
Les résultats ont montré un dégagement d’oxygène, mais les chercheurs ont compris qu’il était produit à cause de la nature très oxydante du sol martien. Enfin, aucune preuve concrète de photosynthèse n’a été trouvée. Grâce à une expérience dotée d’un spectromètre de masse associé à de la chromatographie en phase gazeuse, les chercheurs se sont penchés sur la question de la présence de molécules organiques (qui devraient être présentes si des microorganismes étaient bien à l’origine des observations évoquées ci-dessus) à la surface de Mars. Résultat : aucune molécule organique n’a été détectée, certainement à cause des rayons ultra-violets émis par le Soleil, qui les détruiraient en absence de couche d’ozone similaire à celle de la Terre.6
Au bout de trois ans de débat, la majorité de la communauté scientifique aboutit au consensus selon lequel les expériences des missions Viking n’ont pas détecté de traces de vie sur Mars. Aujourd’hui, les résultats de ces expériences sont toujours discutés et réinterprétés à la lumière des avancées des connaissances scientifiques de l’environnement martien.
Peut-être de la vie sur les météorites provenant de Mars ?
Au milieu des années 90, un intérêt particulier est porté aux météorites martiennes. Pourquoi « martiennes » ? Parce qu’elles ont été éjectées de la surface de Mars à la suite d’impacts et qu’elles sont ensuite tombées sur Terre. En 2021, 262 météorites martiennes ont été identifiées et proviendraient de 11 épisodes d’éjections différents.
La météorite rocheuse ALH84001 découverte dans le secteur d’Allan Hills en Antarctique en 1984, pèse 2 kg. En 1993, l’étude de sa composition (abondances élémentaires et isotopiques), conduit à établir son origine martienne. Cette météorite est très ancienne : les scientifiques pensent que la roche dont elle est constituée s’est formée il y a 4,1 milliards d’années sur Mars, qu’elle a été éjectée de la planète rouge il y a environ 16 millions d’années et qu’elle a chuté sur la Terre il y a 13 000 ans. En 1996, une équipe de la NASA annonce avoir trouvé des formes de vie dans cette météorite. Mais qu’ont-ils trouvé qui puisse être considéré comme un indice de vie ? Ils observent ce qui ressemble aux microorganismes présents sur Terre, de la magnétite oxydée (composée d’oxyde de fer et créée par certaines espèces vivantes sur Terre)7, du sulfure de fer (qui sur Terre résulte de l’action de bactéries)6, des carbonates (importants dans le cycle du carbone sur Terre) et enfin des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) que l’on retrouve dans la matière vivante terrestre.
Malheureusement, ces observations ne suffisent pas à prouver la présence de vie sur Mars car les structures détectées sont 100 à 1000 fois plus petites que les bactéries terrestres. Il est aussi démontré que la magnétite et les sulfures de fer peuvent être synthétisés par un choc thermique en solution aqueuse, sans qu’il y ait besoin de bactéries.6 Autre argument : les carbonates peuvent aussi se former en l’absence de vie. De plus, les HAP peuvent être détectés dans le milieu interstellaire, pas uniquement sur Terre où la vie est omniprésente. Ils ne représentent donc pas nécessairement une preuve de vie. Enfin, l’hypothèse principale est que la météorite ait été contaminée par des composés provenant de la Terre depuis son arrivée.
De l’eau à l’état liquide dans le passé de Mars ?
Les images prises par les programmes Mariner et Viking ont montré des traces possibles d’écoulements fluviatiles qui s’apparentent à d’anciens réseaux ramifiés comme il en existe sur Terre, dans le sud du Yémen.6 Pour avoir des écoulements il faut du liquide. Or, sur Mars, le liquide le plus probable est l’eau, donc peut-être que Mars abritait de l’eau liquide à un moment donné dans le passé.
En chimie, l’eau dans son état le plus commun s’écrit H2O. La mesure du deutérium (le rapport isotopique D/H ou HDO/H2O) dans l’atmosphère de Mars par spectroscopie, comparée à la valeur terrestre, montre que ce rapport isotopique est multiplié par 5 sur Mars. Conclusion : l’eau a été abondante sur Mars dans le passé. En fait, sur Terre, le deutérium (isotope de l’hydrogène qui possède un neutron et un proton, comparé à l’hydrogène qui ne possède qu’un proton) existe dans un mélange de HDO (la forme d’eau dite « semi-lourde ») et de D2O (la forme d’eau dite « lourde », présente en très faible quantité), réunis dans de l’eau H2O. Mais à cause du rayonnement solaire, l’eau qui était présente autrefois sur Mars s’est échappée : la vapeur d’eau est dissociée en oxygène (O), hydrogène (H) et deutérium (D)6, et l’hydrogène peut être perdu dans l’espace. Finalement, il y a un mélange d’hydrogène et de deutérium qui n’ont pas le même devenir : le deutérium, deux fois plus lourd que l’hydrogène, s’échappe moins facilement de l’atmosphère ce qui contribue à augmenter la valeur du rapport D/H. S’il y avait plus d’eau sur Mars que sur Terre, alors il y aurait plus de deutérium resté sur Mars que sur Terre, donc le rapport isotopique serait plus grand sur Mars que sur Terre. Il s’agit d’un argument très sérieux indiquant qu’il y avait encore plus d’eau sur Mars dans le passé que sur Terre aujourd’hui. Tout ceci conduit la NASA à adopter la doctrine « Follow the water » en ce qui concerne l’exploration de Mars : trouver quels sont les sites à la surface de la planète qui gardent encore le témoignage de la présence de l’eau liquide dans le passé de la planète.
Les chercheurs de la NASA tentent de répondre aux interrogations découlant des résultats de la mission Viking avec la mission Mars Global Surveyor, lancée en 1996. Au cours de ce programme, une ligne d’altitude constante étendue sur de très grandes distances tout autour de la planète est détectée. Cette observation fut interprétée comme étant une ligne de rivage qui pourrait être l’indice de la présence d’un ancien océan sur la partie Nord de Mars.
En 2003, le radar de la mission Mars Express mesure la constante diélectrique du sol dans cette région. Une faible constante diélectrique est caractéristique d’un matériau qui a été hydraté (en bleu sur le schéma ci-dessous)6 donc potentiellement hydraté par un ancien océan.
Ajouté à cela, le spectromètre infrarouge OMEGA de Mars Express a détecté la présence d’argiles à plusieurs endroits sur la surface de Mars dont sont issues les cartes de compositions minéralogiques, publiées en 2005.8 Or, pour former de l’argile il faut de l’eau liquide en abondance.
De plus, la sonde de la mission Mars Odyssey met en évidence en 2002 une grande quantité d’hydrogène sous la surface et les résultats révèlent la présence d’eau au niveau des pôles, soit sous forme de glace soit sous forme de mélange de glace et de roches : encore un indice qui coïncide avec les autres données et qui laisse entendre que l’eau a été présente à l’état liquide sur le sol de Mars.
Curiosity, le robot-laboratoire, toujours en voyage sur le sol de Mars
En 2012, la NASA déploie à la surface de Mars et plus précisément sur le Cratère Gale, Curiosity, un robot-laboratoire qui peut effectuer l’analyse sur la composition du sol martien par diverses techniques dont la spectrométrie de masse. En fait, les scientifiques, à travers l’astromobile, cherchent un site qui réunit les conditions dans lesquelles la vie aurait pu se développer, c’est-à-dire en présence de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote, de phosphore, de soufre, de fer, et bien entendu, en présence d’eau à l’état liquide. Autrement dit, un site qui remplit les critères d’habitabilité. La région en question a été trouvée dans le Cratère Gale, où le robot Curiosity se déplace depuis son arrivée. Cette zone se situe à l’endroit où il y avait un lac dans le passé et a été baptisée « Yellowknife Bay ». Il y a 3,5 milliards d’années, le pH y était neutre, la salinité et l’acidité faibles et il y avait du fer et du soufre dans différents états d’oxydation.
Tout récemment, en janvier 2022, les instruments à bord de Curiosity ont fait l’analyse des forages de plusieurs échantillons de roches récoltés sur le Cratère Gale. Ces expérimentations ont entrainé la découverte de roches possédant un rapport 12C/13C variable et parfois même enrichi en 12C. Le carbone 13 est un isotope du carbone 12 : il possède un neutron de plus dans son noyau ce qui le rend plus lourd que le carbone 12. Étant davantage léger, le carbone 12 est généralement plus simple à métaboliser pour des espèces vivantes : son enrichissement peut alors être une signature d’activité biologique.9
Mais attention à ne pas se laisser emporter par l’enthousiasme. Les scientifiques voient aussi l’hypothèse d’une photoréduction du CO2 atmosphérique pour expliquer la présence de ce carbone plus léger. Selon eux, il est aussi possible qu’un nuage interstellaire ait pu apporter ce carbone 12 il y a plusieurs centaines de millions d’années. Résultat : il n’y a pas de conclusion possible concernant cette découverte.
Du méthane, preuve de vie sur Mars ?
La question de la présence du méthane dans l’atmosphère martienne est considérée comme une énigme par les scientifiques. Pourquoi cela ? En fait, l’atmosphère très oxydante de Mars n’est pas censée permettre la présence durable de méthane en son sein. Et sur Terre, au moins 90% du méthane présent est d’origine biologique.10 Alors, le fait d’en trouver sur Mars peut potentiellement être la signature d’une activité biogénique actuelle, même si des explications alternatives complètement abiotiques existent, c’est-à-dire qui ne concernent pas le vivant.
Les choses se concrétisent en 2004 quand différentes équipes manifestent qu’elles ont détecté du méthane par spectroscopie dans l’infrarouge. La première équipe, menée par Vladimir Krasnopolsky, observe Mars depuis la Terre et publie un article sur sa découverte du méthane dans la revue Icarus.11 Cependant, les quantités de méthane qui en découlent sont relativement faibles. La deuxième équipe quant à elle, dirigée par Michael Mumma et toujours depuis la Terre, a obtenu une cartographie du méthane martien en tenant compte des variations spatiales et temporelles de ce dernier, résultats qu’ils ont publiés dans la revue Science seulement en 2009.
Juste après les investigations faites par les deux premières équipes, une troisième, menée par Vittorio Formisano, utilise un spectromètre infrarouge embarqué sur la sonde Mars Express en orbite autour de Mars et envoyée par l’ESA (Agence Spatiale Européenne) en 2003. Les résultats publiés dans Science en 2004 montrent des variations de signature du méthane allant de 0 ppbv à 30 ppbv (parts per billion by volume), avec une valeur moyenne de 10 ppbv. Cependant, les auteurs n’excluent pas l’idée que leurs résultats puissent être dus à une origine abiotique.2
À ce moment-là, les résultats donnent à penser qu’il y a bien du méthane sur Mars. Toutefois, chacune des trois équipes a été confrontée à des facteurs pouvant potentiellement altérer leurs mesures. De plus, les raies du méthane martien dans le spectre de l’équipe de Mumma, pourtant doté d’une excellente résolution, coïncident avec le 13CH4 terrien : le méthane détecté pourrait s’avérer être en fait d’origine terrestre. Autrement dit, rien n’est certain.
Premièrement, d’où proviendrait le méthane sur Mars ? Certains scientifiques ont pensé que le volcanisme ou les météorites pouvaient apporter de la matière organique sur la planète, mais selon eux, ces phénomènes ne sont pas assez fréquents pour être responsables du méthane observé. Sous la surface, les minéraux des roches en profondeur peuvent être hydratés par de l’eau et cette réaction de serpentinisation peut produire de l’hydrogène et du CO2 qui, en s’associant, créent du méthane. Ce dernier peut être stocké sous la forme de clathrates de méthane (6 molécules d’eau qui entourent une molécule de méthane), de même que sur Terre, dont le méthane peut être libéré par dissociation. Bien évidemment, il reste une dernière hypothèse : l’origine microbienne du méthane par des réactions métaboliques identiques à celles que l’on connait sur Terre et qui nécessitent de l’eau liquide. Pourtant, aucune preuve tangible ne vient conclure sur l’origine du méthane observé sur Mars.
Deuxièmement, comment serait-il détruit ? Au-dessus de 60 km d’altitude, il serait détruit par photolyse, c’est-à-dire la décomposition chimique par la lumière. En-dessous de 60 km d’altitude, il pourrait être dégradé par des réactions d’oxydation ou par des réactions électro-chimiques. Cependant, ce ne sont que des hypothèses. 10
Les mesures de Curiosity apportent des informations supplémentaires en 2015 lorsque du méthane est détecté pour la première fois par le rover et dont le flux suit une variation saisonnière.
L’orbiteur TGO (Trace Gas Orbiter) placé en orbite en 2016 lors de la mission européano-russe ExoMars contient deux spectromètres infrarouges avec la capacité d’occultation solaire qui offrent la possibilité d’analyser l’atmosphère en transparence avec une grande sensibilité. En comparant les données de TGO avec celles de Curiosity, les chercheurs européano-russes se rendent compte que la limite supérieure (la valeur maximale de méthane détectée) des mesures faites par TGO est inférieure à la limite supérieure des mesures faites par Curiosity.
Il existe trois hypothèses pour expliquer ce phénomène : 1. Le méthane mesuré par Curiosity pourrait provenir du rover lui-même. 2. Le méthane pourrait être confondu avec de l’ozone mais celle-ci est peu probable car les mesures sont faites avec une très grande résolution. La troisième hypothèse est, selon Thérèse Encrenaz, la plus pertinente : TGO observe en altitude de jour tandis que Curiosity détecte le méthane la nuit au niveau du sol martien, ce qui engendre forcément une différence.
Une explication à ce phénomène a été proposée par un astronome canadien, Moores, et a ensuite été reprise par l’équipe scientifique de Curiosity : le méthane pourrait être piégé dans la couche limite de l’atmosphère de Mars, l’endroit où le gaz interagit avec la surface. Mais cette couche est plus fine la nuit que le jour. Autrement dit, la nuit, le méthane est plus concentré et le jour il est plus dilué. Étant donné que TGO mesure la présence de méthane le jour en conditions diluées, son signal est inférieur à celui de Curiosity qui lui, mesure de nuit en conditions concentrées. Ceci n’est qu’une hypothèse et pour la vérifier, l’équipe de Curiosity a fait des mesures de jour et ils ont obtenu un signal dix fois inférieur à celui qu’ils avaient de nuit. La question de la vie sur Mars reste alors encore en discussion.
Peut-être que Vénus est aussi une bonne candidate ?
Pourquoi Vénus suscite autant de convoitise aujourd’hui ? Parce qu’à l’époque de sa création, elle était différente, moins chaude. De nos jours, Vénus fait face à un effet de serre très important qui explique son incroyable température de surface de 460°C mais il y a eu dans le passé une température au sol de la planète qui aurait pu permettre la présence d’eau liquide. Lors de la formation des planètes, le Soleil était moins lumineux qu’il ne l’est aujourd’hui : sa luminosité représentait 70% de sa luminosité actuelle. Malheureusement, selon Thérèse Encrenaz, il ne sera probablement jamais possible de trouver des traces d’eau liquide anciennement présente sur cette planète en raison du renouvellement volcanique de la surface de Vénus qui s’est produit il y a quelques centaines de millions d’années. Mais qui dit eau liquide, dit peut-être vie ? Peut-être que de la vie a été présente sur Vénus mais que l’eau s’est évaporée petit à petit puis photodissociée à cause d’un Soleil de plus en plus chaud. Aussi, Vénus abrite des nuages opaques d’acide sulfurique présents sur la totalité de la planète en haute altitude. Certains scientifiques pensent qu’une partie de l’eau s’est retrouvée dans les nuages de Vénus aux alentours de 50 km d’altitude, où la température et la pression y sont plus favorables, et que ces nuages pourraient potentiellement contenir des microorganismes adaptés à ces conditions malgré tout difficiles.
Vénus possède une taille similaire à celle de la Terre et une atmosphère qui ressemble à celle de Mars, à savoir une majorité de CO2. Mais la grande différence atmosphérique se trouve au niveau de sa pression de 92 bars, quasiment 100 fois la pression atmosphérique sur Terre, et environ 15 500 fois la pression sur Mars. Vénus possède également des volcans éteints et il y a peut-être même encore du volcanisme actif, mais si c’est le cas, les scientifiques ne l’ont pas encore démontré. À première vue, c’est une planète inhabitable avec des conditions extrêmes, mais elle intéresse un certain nombre de scientifiques qui cherchent la vie en altitude et des preuves de vie passée au sein de la planète.
La phosphine de Vénus, un emballement médiatique
En septembre 2020, une équipe menée par Jane Greaves, professeure d’université au Royaume Uni, déclare qu’elle a détecté de la phosphine (PH3) sur Vénus par une technique de radioastronomie. Comme pour le méthane sur Mars, c’est une molécule inattendue dans l’atmosphère oxydante de Vénus. Mais pourquoi la phosphine serait-elle un indice de vie extraterrestre ? Parce que sur Terre, elle est fabriquée par certains types de bactéries en absence d’oxygène.12
En 2017, cette équipe observe avec le James Clark Maxwell Telescope (JCMT) à Hawaï, une raie à une longueur d’onde qui peut être associée à la phosphine : 1,123 mm. En 2019 ils observent avec l’Atacama Large Millimeter-submillimeter Array (ALMA) au Chili, une raie similaire. Parmi les hypothèses expliquant ces résultats ; l’équipe pense à une possibilité infime de vie dans la couche nuageuse de Vénus, en mettant l’accent sur le résultat similaire obtenu avec deux instruments différents et très compétents. Mais, pour qu’une molécule puisse être considérée comme détectée, il faut qu’il y ait plusieurs raies sur le spectre obtenu, une seule raie n’est pas suffisante pour en prouver la présence. Malgré cela, cette découverte publiée dans la revue Nature Astronomy13 a été largement relayée par les médias qui n’ont pas hésité à répandre un engouement. Cette explosion médiatique a cependant déclenché une grande méfiance de la part de la communauté des astronomes. Selon certains d’entre eux, lors de l’observation d’un objet brillant, il peut y avoir des oscillations sur le spectre qu’il faut filtrer avec des polynômes de degré 2, 3 ou 4, mais l’équipe de Jane Greaves a utilisé un polynôme de degré 12 avec de forts risques de créer de fausses raies. De plus, après une nouvelle calibration des données sur ALMA, l’équipe obtient un signal moins intense que le précédent. Pour autant, J. Greaves conclut sur des variations temporelles de phosphine au sein de Vénus. Ajouté à cela, plusieurs équipes se sont mises à rechercher dans le domaine infrarouge la signature de la phosphine qui doit être présente pour confirmer la prétendue détection dans le domaine des ondes radios, mais chaque résultat est le même : il n’y a pas de phosphine dans ces spectres.
Jane Greaves reste persuadée qu’il y a de la phosphine sur Vénus. C’est pourquoi, parmi ses programmes à venir, elle va continuer à la rechercher. D’autres chercheurs associés à la « détection » de la phosphine, comme Sara Seager, pensent que cette explosion médiatique aura au moins eu l’effet de pousser certains à s’intéresser de plus près à Vénus.
Le voyageur interstellaire ‘Oumuamua, une soucoupe volante ?
Découvert en 2017 et observé pendant deux mois, cet objet est passé très près du Soleil. Sa trajectoire hyperbolique prouve que cet inconnu ne provient pas du Système solaire. En effet, tous les corps appartenant au Système solaire ont une trajectoire elliptique.14 Il a été nommé « ‘Oumuamua », en hawaïen « premier messager d’une contrée lointaine »15, en hommage à sa découverte grâce à un télescope situé à Hawaï. Pour connaitre la forme de l’objet, les scientifiques ont mesuré sa courbe de lumière et ont constaté qu’il présentait de grandes variations d’éclat, que l’on pourrait interpréter s’il est allongé, en cigare ou en galette. Une légère modification de sa trajectoire a aussi été mesurée. Les chercheurs ont d’abord pensé qu’il s’agissait d’une comète, mais une comète dégage du gaz. Pourtant, aucune trace de gaz n’a été détectée. En janvier 2021, Avi Loeb, ancien directeur du département d’astronomie de l’université d’Harvard, explique une étonnante théorie dans son livre « Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre »16 : comme il n’y a guère d’émission gazeuse alors l’objet serait artificiel, construit par des extraterrestres et propulsé à l’aide d’une voile solaire, fabriquée elle aussi par des êtres vivants d’ailleurs. Ce livre conduit à une nouvelle avalanche médiatique : même la revue Telerama17 qui n’a pas pour habitude de publier de sujets scientifiques y accorde 5 pages ! Mais la communauté scientifique propose plutôt d’expliquer ce phénomène de manière rationnelle : par exemple, si aucune émission de gaz n’a été détectée c’est peut-être parce que les chercheurs ont principalement voulu mesurer de la vapeur d’eau, principal gaz émis par une comète. Mais si le gaz émis par ‘Oumuamua est en fait du diazote ou du dihydrogène, ces derniers ne sont pas détectables depuis la Terre. Une équipe de l’observatoire de Nice soutient que ‘Oumuamua pourrait être un fragment de comète fracturée au passage à proximité d’une étoile, tout comme la comète Shoemaker-Levy 9 était passée près de Jupiter et s’était fracturée en une vingtaine de morceaux qui formaient un « collier de perles », nommés ainsi car tous ces morceaux circulaient ensemble. L’idée des chercheurs de l’observatoire de Nice est que la comète à l’origine de ‘Oumuamua a certainement continué de tourner autour de son étoile en perdant ses éléments volatiles et qu’elle a été expulsée hors de son système à la suite d’une interaction avec une exoplanète géante. Ce qui est impressionnant, c’est que la forme supposée de ‘Oumuamua ressemble très fortement à celle rendue par la simulation numérique de la destruction d’un corps par effet de marée.
Il y a donc deux avis sur ce sujet : une grande majorité de chercheurs pensent que ‘Oumuamua est un débris de comète interstellaire et Avi Loeb, avec quelques-uns de ses collègues, soutiennent une origine artificielle et par conséquent une preuve de vie extraterrestre. Quoi qu’il en soit, cet objet ne sera certainement plus jamais observable, donc nous n’aurons probablement pas le fin mot de l’histoire.
Conclusion : La route pour trouver de la vie ailleurs est encore longue
Pour Mars et Vénus, les recherches continuent mais l’espoir d’y trouver des formes de vie s’amenuise. D’autres cibles sont aussi très prisées pour rechercher la vie, notamment l’intérieur des satellites comme Europe, satellite de Jupiter, et Encelade, satellite de Saturne. Il y aurait peut-être une épaisse couche d’eau à l’état liquide sous leur surface glacée : un océan qui serait en contact avec le manteau rocheux de ces lunes. De futures missions spatiales donneront plus d’informations.
Une dernière annonce surprenante a été faite par Jim Green, un ancien administrateur de la NASA. Il a déclaré que l’humanité sera capable de modifier l’atmosphère de Mars pour la rendre habitable. C’est le « terraforming ». Cependant, pour beaucoup de scientifiques, cette idée n’est qu’une utopie : il faudrait produire une quantité considérable de gaz pour former une atmosphère dense autour de Mars, vivre à sa surface serait très dangereux car les radiations solaires mortelles n’y sont pas bloquées par un champ magnétique, sans parler des logistiques d’approvisionnement et des coûts d’une telle entreprise. La question de la terraformation de Mars soulèvera sûrement encore de nombreux débats comme cela a pu être le cas en ce qui concerne la recherche de la vie dans l’espace. En tout cas, d’après Thérèse Encrenaz, une coopération internationale concentrée sur la préservation de l’environnement est nécessaire pour que nous puissions vivre sur notre planète natale le plus longtemps possible.
J’aimerais remercier mon maître de stage Hervé Cottin ainsi que mes collègues du LISA et mes proches pour leur relecture et leurs conseils pour mon premier article.
Bibliographie :
1https://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27observation_de_Mars consulté le 18 avril 2022
2http://acces.ens-lyon.fr/acces/thematiques/paleo/variations/tp-milankovitch/obliquite#:~:text=L’obliquit%C3%A9%20caract%C3%A9rise%20l’inclinaison,%C3%A9cliptique%20moyen%20de%20la%20Terre consulté le 18 avril 2022
3https://fr.wikipedia.org/wiki/Inclinaison_de_l%27axe consulté le 18 avril 2022
4https://fr.wikipedia.org/wiki/Mariner_9 consulté le 18 avril 2022
5https://fr.wikipedia.org/wiki/Programme_Viking consulté le 18 avril 2022
6Encrenaz Thérèse, Lequeux James, La vie sur Mars, une quête sans cesse renouvelée. In La vie ailleurs : espérances et déceptions. edp sciences, 2021, France, pp. 79-91.
7https://fr.wikipedia.org/wiki/Magn%C3%A9tite consulté le 19 avril 2022
8https://sciences-techniques.cnes.fr/fr/web/CNES-fr/9495-st-2005-decouverte-d-argiles-sur-mars.php consulté le 19 avril 2022
9Emilie Martin, « Le rover Curiosity mesure d’intrigantes signatures de carbone sur Mars », 2022, Ciel & Espace.
10Encrenaz Thérèse, Lequeux James, L’énigme du méthane martien. In La vie ailleurs : espérances et déceptions. edp sciences, 2021, France, pp. 93-107.
11Vladimir A.Krasnopolsky et al. Detection of methane in the martian atmosphere: evidence for life? Icarus 2004; Volume 172, Numéro 2. pp. 537-547 https://doi.org/10.1016/j.icarus.2004.07.004
12Encrenaz Thérèse, Lequeux James, De la phosphine sur Vénus ? Une brève histoire qui en dit long. In La vie ailleurs : espérances et déceptions. edp sciences, 2021, France, pp. 109-121.
13J. Greaves et al. Phosphine gas in the cloud decks of Venus. Nature Astronomy, 2021; Volume 5, pp. 655-664
14Encrenaz Thérèse, Lequeux James, Les visiteurs interstellaires : ‘Oumuamua. In La vie ailleurs : espérances et déceptions. edp sciences, 2021, France, pp. 135-142.
15Gibbens, Sarah, « L’astéroïde ‘Oumuamua a laissé de précieuses informations avant de disparaître », National Geographic.
16Avi Loeb, Le premier signe d’une vie intelligente extraterrestre, Seuil, 2021, 272 pages.
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