Retour sur la découverte de fossiles datant de 3.2 milliards d’années publiée en début d’année (Source ULg)
La communauté scientifique s’accorde pour faire remonter les premières preuves de vie incontestées sur Terre à 2,7 milliards d’années. Au-delà, c’est la foire d’empoigne. Mais la biologiste et géologue de l’ULg Emmanuelle Javaux et deux de ses collègues américain et canadien ont réussi à remonter le temps. Leur découverte : des microorganismes – donc des preuves de vie terrestre -, qu’ils ont datés, preuves à l’appui, à 3,2 milliards d’années. Une première mondiale, qui valait bien une publication dans la revue Nature.
On savait que la vie était apparue fort tôt sur la Terre, mais les scientifiques ne s’accordent pas sur la date exacte. Il est toutefois communément admis de la faire remonter à la fin de l’Archéen (la période médiane du Précambrien), autour de 2,7 milliards d’années, après une intense période de bombardement de météorites. Au-delà, la controverse fait rage. Mais pour la première fois, une équipe composée du spectroscopiste Craig P. Marshall, de l’université du Kansas, d’Andrey Bekker, géologue et géochimiste de l’université du Manitoba, spécialisé dans les isotopes du carbone et de la biologiste et géologue Emmanuelle Javaux de l’Université de Liège, spécialisée en micropaléontologie, a découvert des microorganismes, de taille relativement grande, cohabitant avec des tapis microbiens dans la zone photique (encore accessible aux rayons du soleil) de milieux marins côtiers datant de…3,2 milliards d’années ! En clair : des preuves incontestables de vie remontant à cette époque1.
Quelques repères. Il y a 4,56 milliards d’années, apparaissent au sein du système solaire les premières planètes telluriques, dont la Terre, Mercure, Venus et Mars. L’oxygène est, quant à lui, apparu sur la Terre il y a environ 2,5 milliards d’années avec l’apparition de cyanobactéries qui font de la photosynthèse et rejettent de l’oxygène. Par leur métabolisme, elles vont profondément modifier la planète et favoriser l’évolution d’organismes vivants plus complexes (eucaryotes). Les premières manifestations de vie terrestre précisément, qui ne soient pas soumises à controverses, remontent à 2,7 milliards d’années. Les colonisateurs primaires de la Terre étaient les bactéries et les archées, que l’on nomme les procaryotes car elles ne disposent pas de noyau. Les eucaryotes, ces organismes uni- ou multicellulaires disposant, eux, d’un noyau, d’un cytosquelette et d’organites, apparaissent il y a au moins 1.9 milliards d’années, ou de façon controversée depuis 2.7 milliards d’années. Dans ses recherches, Emmanuelle Javaux s’intéresse précisément à ces petits organismes, tâchant, plus précisément, de savoir et de comprendre quand et comment ces trois groupes sont apparus et ont évolué sur Terre. Sa période de recherche est le Précambrien, qui comprend lui-même trois périodes distinctes : l’Hadéen (4,56 à 4 milliards d’années), l’Archéen au cours de laquelle la vie est apparue (de 4 à 2,5 milliards) et enfin le Protérozoïque (de 2,5 milliards à 544 millions d’années), lui-même subdivisé en Paléo-, Méso- et Néoprotérozoïque.
La reconstruction de l’évolution de la vie terrestre n’est point chose aisée, car si les biologistes différencient aisément les membres des trois domaines de la vie – Archaea, Bacteria et Eucarya dont nous faisons partie, nous, les humains – en utilisant de nombreux caractères de biologie moléculaire et cellulaire, ces caractères ne survivent pas à la fossilisation et ne sont donc pas exploitables par les paléontologues. L’autre difficulté majeure à laquelle ils se heurtent est l’effacement des traces géologiques par les processus géologiques, tels que la diagenèse, la tectonique ou l’altération due aux fortes pressions et températures consécutives à l’enfouissement de sédiments ou aux déformations de la croûte terrestre (c’est ce que l’on appelle le métamorphisme). « C’est également un domaine de recherche très « chaud », reconnaît la chercheuse liégeoise. Dans tout ce que l’on produit, la prudence est de mise, car beaucoup de recherches sont remises en question, voire rejetées par la communauté scientifique. Tout ce que l’on avance doit être systématiquement documenté et prouvé. » Et c’est précisément le caractère incontestable de sa dernière découverte, dont les résultats viennent de paraître dans la revue Nature, qui en fait toute la force.
Une panoplie d’outils
Sa découverte, Emmanuelle Javaux, la doit notamment à un choix initial judicieux. Son idée était en effet de récupérer des roches à grains fins, dites siliciclastiques, prélevées dans des shales et des siltstones du Groupe Moodies, à Barberton en Afrique du Sud, qui sont les plus anciens dépôts terrigènes alluviaux et côtiers montrant une influence des marées. Ce choix n’est pas innocent car c’est précisément dans cette région et à Pilbarra, à l’ouest de l’Australie, que les roches sédimentaires contenant des traces de vie fossiles anciennes sont les mieux conservées…. Par contre, les roches siliciclastiques sont généralement moins étudiées par la plupart des spécialistes de l’Archéen (entre 4 et 2.6 milliards d’années), qui travaillent davantage sur les roches calcaires ou les cherts (silex). Ces microfossiles de plus de 3 milliards d’années ont une paroi organique de couleur noire, à la suite du métamorphisme (augmentation de température et pression suite à l’enfouissement et/ou à des orogenèses) qu’a subi la roche qui les contenait.
Pour retrouver des traces de vie dans le Précambrien, les micropaléontologues disposent de plusieurs outils…associés chacun à leur lot de problèmes ! Les fossiles, tout d’abord, dont l’état de préservation doit être suffisant pour être exploitable : plus l’on remonte dans le temps, plus leur taille est réduite et leur morphologie simple. Mais ils posent un second problème : l’endogénicité. « Il nous faut en effet à chaque fois prouver que le fossile sur lequel on travaille et que l’on essaie de dater n’est pas une contamination et qu’il s’agit bien d’une trace ancestrale de vie, explique Emmanuelle Javaux. D’où l’importance de l’analyse du contexte géologique et du contenu des roches. » Le second outil dont disposent les scientifiques sont les biomarqueurs, ces molécules biologiques fossiles qui fournissent des indications sur l’évolution biochimique… Mais, encore une fois, les micropaléontologues doivent prendre garde à la contamination, aux biomarqueurs orphelins et la méconnaissance de la diversité des molécules.
Troisième outil : les fractionnements isotopiques, mais rien n’étant simple, il faut savoir que des processus non-biologiques peuvent produire des morphologies semblables à certains microfossiles et des fluides hydrothermaux peuvent produire des composés organiques abiotiques avec, en outre, un fractionnement isotopique semblable à la signature biologique. Les structures biosédimentaires, comme les stromatolithes , constituent le dernier outil à la disposition des micropaléontologues. Ces structures calcaires laminées, dont les plus anciens datent de 3,46 milliards d’années, se trouvent notamment en Australie. « De vives controverses, résume Emmanuelle Javaux, persistent au sujet de la biogénicité, c’est-à-dire la nature biologique, et de la syngénéité – la trace de vie est-elle bien contemporaine de la roche qui la contient et non une contamination ? – des traces de vie plus anciennes que la fin de l’Archéen, vers 2,7 milliards d’années. »
Un long processus
Une fois les roches sud-africaines en sa possession, Emmanuelle Javaux a réalisé des coupes fines pour localiser les fossiles, et a ensuite plongé des échantillons de roche dans des bains d’acide. Cette opération permet en effet de dissoudre les roches pour ne plus garder que la matière organique. « Après avoir caractérisé l’environnement des cellules fossilisées contenues dans ces roches, explique la chercheuse liégeoise, il nous a fallu prouver non seulement qu’il s’agissait bien de structures organiques mais également que ces matières organiques avaient la même maturité que les roches dont elles avaient été extraites (grâce à la micro-spectroscopie Raman), afin d’écarter la possibilité d’une éventuelle contamination. A ce stade, nous savions que nous étions en présence de structures carbonées datant de 3.2 milliards d’années provenant d’environnements marins. » Les chercheurs vont alors multiplier les analyses, notamment pétrographiques, géochimiques et microscopiques, pour évacuer toute contestation et prouver qu’ils étaient bien en présence de microfossiles à paroi organique datant de plus de 3 milliards d’années !
Des plis visibles sur la paroi organique de ces microfossiles, par exemple, ont apporté un élément de confirmation supplémentaire. Ces plis sont en effet dus à la compaction des cellules originelles suite à leur mort, puis leur préservation dans des sédiments fins. « L’hypothèse d’une origine abiotique a pu être écartée sans que persiste le moindre doute, s’enthousiasme Emmanuelle Javaux, l’endogénicité, la syngénéité et la biogénicité de ces microfossiles étant avérées par un ensemble d’analyses pétrographiques, géochimiques, par leur composition organique, leur morphologie et ultrastructure cellulaire, leur taphonomie, le contexte géologique, et le manque d’explications non-biologiques. »
Une découverte majeure
« Ce qui est réellement remarquable dans cette découverte, c’est évidemment l’âge de ces microfossiles, mais également leur taille – certains d’entre eux enregistrant 300 microns de diamètre ! – et leur état de préservation, renchérit la géologue. Elle atteste en tout cas de l’évolution d’un écosystème côtier relativement diversifié à l’Archéen ; elle pourrait aussi suggérer qu’une certaine complexité biologique aurait pu apparaître beaucoup plus tôt qu’on ne le pensait. » Il faut savoir en effet que des fossiles identiques – des vésicules à parois organiques – datant de 1,9 milliard d’années ont été retrouvés par la chercheuse et d’autres équipes : cette découverte rallonge donc considérablement leur âge géologique. Mais si, aujourd’hui, les chercheurs ne doutent plus de la réalité de leur découverte marquante, le doute persiste cependant quant à la nature exacte de ces microfossiles. Il pourrait en effet s’agir soit de procaryotes aujourd’hui disparus, soit encore d’ancêtres d’un groupe actuel, à savoir de cyanobactéries ou même d’eucaryotes, « ce qui serait tout bonnement extraordinaire, mais nous ne sommes malheureusement pas capables de le prouver à ce stade… Tous les éléments de preuves que nous avons apportés nous mettent en position non seulement de pouvoir reculer l’âge des plus anciennes formes de vie incontestables, conclut Emmanuelle Javaux, mais leur nombre et leur solidité nous permettent en outre de prévenir toute contestation ultérieure. » Une belle victoire à titre personnel, sans doute ; une découverte passionnante pour la compréhension et la connaissance de l’aube de l’Humanité, assurément…
(1) «Organic-walled microfossils in 3.2-billion-year-old shallow-marine siliciclastic deposits”, article published in the journal, Nature, 463, 934-938, February 2010. (lien)
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